17 octobre 1914. Le train stoppe à Sorcy. On entend le canon.



17 octobre 1914.

0h30-

Le train stoppe à Sorcy. On entend le canon. On voit des trous d’obus tout frais le long de la voie. Ca y est, nous voilà de nouveau dans la guerre.

2h30-

Nous sommes encore à Sorcy. Nous faisons les cent pas devant le long train où les hommes dorment entassés à 45 par wagon.

2h45- Commercy

Arrivée à Commercy. Il pleut. Il fait froid. On m’indique une adresse où une chambre m’a été retenue. J’y cours. Je frappe à la porte. Un homme en bonnet de coton apparaît à une fenêtre et me dit qu’il n’a pas de chambre, qu’il est commis dans la maison et que toutes les pièces sont fermées à clef. Je lui demande l’adresse de son patron. Un territorial me guide rue des Capucins, devant une belle maison : je sonne. Cette fois-ci c’est un gentleman en pyjama qui m’apparaît à la fenêtre. Tout de suite il me prie d’accepter une chambre chez lui, m’offre des gâteaux secs, du cordial Marie-Brizard ; on bassine1 mon lit.

4h- Je me couche.

7h- Je me lève

Commercy a de larges places, des marchands de madeleines et un château. Commercy a également des magasins bien achalandés : un électricien a vendu depuis avant-hier cinq cents lampes électriques de poche à 5francs l’une… La guerre ne ruine pas tout le monde…

Le canon tonne vers Sampigny.

Sampigny, c’est la petite patrie de notre grand Poincaré. Ai-je besoin de dire que si, à Charmes, Barrès était roi, à Commercy Poincaré est dieu ?

Midi-

Après un bon déjeuner à l’hôtel de la Cloche (un peu trop de madeleines au dessert, tout de même) ordre de départ pour le front. Nous devons cantonner à Ménil-aux-Bois, à 18 kilomètres d’ici.

19h- Ménil-aux-bois-

Nous avons marché 7 heures dans les bois. Les bois étaient merveilleux, tout dorés par l’automne, mais la marche était bien pénible. En pleine nuit, descendre et gravir des chemins étroits, ravinés, caillouteux, sous une petite pluie fine, qui devient bien vite une grosse pluie, entendre durant cette marche le canon tout proche, l’éclatement d’obus qui semblent par moment arriver vers nous, la fusillade intense de l’infanterie qui crépite dans la direction de Lérouville… et arriver dans un petit village boueux, pauvre, envahi d’émigrés de Sampigny… ce n’est pas une partie de plaisir.

Image62

Les voitures n’ont pu nous suivre. A 8h nous n’avons rien à manger. Dans la maison abandonnée où nous pénétrons, le commandant, les officiers et moi, il reste quelques oignons et deux bocaux de cornichons. Je m’attable aussitôt devant un cornichon étalé sur du pain, pendant que le commandant juché sur un buffet fouille le petit garde-manger dans l’espoir d’y découvrir du lard, espoir d’ailleurs vite déçu. La pièce que nous occupons est éclairée par un petit vasistas recouvrant l’ouverture d’une énorme cheminée qui tient lieu de plafond. C’est un système que nous retrouvons dans plusieurs maisons du pays.

Dans ce misérable village, il y a une maison assez confortable. Elle est abandonnée. Le capitaine Lefolcalvez qui est un habile crocheteur de portes a pu s’y introduire et m’y offre une chambre avec un lit. Sur quinze officiers nous sommes cinq à être couchés. Les autres passeront la nuit sur la paille.

1

On chauffe son lit à l’aide d’une bassinoire remplie de braises.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Un Goncourt dans la Grande Guerre, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>