18 août : Henri Moisy ne « pense pas à la guerre »



Le mardi 18 août 1914

Réveil à 5 h. Un aéroplane passe au-dessus du village. Nous quittons Hautecourt à 9 h. Passé à Abaucourt. Arrivée à Dieppe à 11 h. Repos toute la soirée. Nous sommes logés dans un cantonnement très propre. Nous entendons le canon. Le temps est superbe et nous avons un grand jardin et des arbres fruitiers à notre disposition.

Dieppe (Meuse) mardi 18 août 1914 14 heures

[Chère Eugénie]

Jusqu’à présent, nous étions tenus dans une prudente réserve par la censure qui, nous disait-on, contrôlait toutes nos lettres. Maintenant que la mobilisation s’achève, et que les engagements qui se déroulent tournent à notre avantage, il paraît que nous pouvons donner des détails précis. C’était pour obéir à cette prescription de la censure que je vous avais envoyé ma lettre datée du 10 août sans mettre le lieu de départ, j’étais ce jour-là à Maisey. Je vais vous raconter brièvement les événements qui se sont déroulés au jour le jour depuis mon départ d’Orléans. Je vous réserve de plus grands détails dans un carnet de route que je mets à jour au fur et à mesure et que je conserverai jusqu’à la fin.

Je suis parti d’Orléans le 9 août à 9 heures. (Comptez de 1 à 24.) Arrivée à Sampigny, Meuse, le 10 à 4 heures. Passé auprès de la maison de campagne de M. Poincaré en allant à pied de Sampigny à Maisey et passant par Saint-Mihiel. Arrivée à Maisey à 11 h. Le 11, départ de Maisey, arrivée à Troyon à 8 heures. En cours de route, vu un aéroplane et un dirigeable français. Passé trois jours à Troyon, cantonnement agréable, heureux à tous points de vue.

Le 14, journée terrible. Départ de Troyon à 1 h du matin, bien entendu, arrivée à Chatillon à 11 h après avoir fait 35 km. J’étais épuisé, et tous les autres comme moi. Pour comble, j’ai couché dehors dans la paille. Nous étions 500 dans une ferme. Passé deux jours dans cette ferme. Le 15 août, jour de fête, fait de l’école de bataillon le matin, travaux de campagne le soir. Je n’ai jamais passé un 15 août pareil. Le 16, départ de Chatillon à 7 h 30. Marche-manœuvre, arrivée à Moranville à 9 h 30. Cantonné aux avant-postes. Le 17, départ de Moranville à 7 h 30, marche‑manœuvre, arrivée à Hautecourt à 9 h 30. Hautecourt est un pays dégoûtant, je n’ai jamais rien vu d’aussi sale, cinq centimètres de boue partout. J’ai entendu le canon et la fusillade toute la journée, le soir, un aéroplane est passé au-dessus de nous.

Aujourd’hui 18 août, départ de Hautecourt à 9 h, passé à Abaucourt, arrivée à Dieppe à 11 h après 8 kilomètres de marche. Cantonnement superbe, paille à volonté dans jardin ombragé. Comme distraction, nous entendons le bombardement des pièces de siège, mais c’est au moins à 30 km d’ici. Nous sommes à environ 35 km de la frontière, depuis notre départ de Sampigny nous remontons toujours vers le nord.

Il est probable que nous ne verrons pas le feu tout à l’heure, le 331ème, qui est composé de deux bataillons, soit 2000 hommes, est paraît-il destiné à protéger les convois de ravitaillement et le service de santé du 5ème Corps. C’est du moins ce que nous faisons depuis notre débarquement. Comme tous ces services se trouvent autant que possible à l’arrière des armées, nous n’aurions donc à répondre qu’à une attaque imprévue.

Quoi qu’il en soit, nous ne pensons pas à la guerre, c’est ni plus ni moins des grandes manœuvres. Tout de même, parfois, une dizaine de coups de canon viennent nous rappeler à la réalité. Mais comme ça se passe à une vingtaine de kilomètres de nous, nous conservons notre gaieté (relative).

Naturellement, nous couchons toujours sur la paille. Depuis le 4 août, je m’y suis habitué et je dors bien. Ma santé est excellente, je n’ai jamais souffert des pieds. Quelquefois, après une longue marche, je ressens une fatigue à la cuisse, qui disparaît après un peu de repos. J’ai toujours bon appétit et je mange bien, malgré la grossièreté de la cuisine. Enfin, vous n’avez pas à vous inquiéter de moi.

Il a fait pendant quelques jours des chaleurs insupportables, et samedi, dimanche et lundi il est tombé de l’eau toute la journée. Aujourd’hui, il fait beau temps. J’espère qu’après deux mois de cette vie vagabonde je rentrerai à Bourgueil comme j’en suis parti. Vous voudrez bien continuer à me donner des nouvelles de temps en temps. Si vous avez une carte détaillée des opérations, vous n’aurez qu’à suivre dessus l’emploi de mon temps et de mes déplacements.

Henri Moisy ‑ Caporal au 331ème Régiment de réserve

5ème bataillon ‑ 20ème compagnie

Orléans Loiret

 

Dieppe (Meuse) 18 août 1914 – 18 heures

Chère Eugénie,

Je réponds à ta lettre que je viens de recevoir à l’instant. Comme elle est datée du 10, elle a donc mis 8 jours à me parvenir. Tu trouveras des détails dans une lettre que j’envoie à Aimée aujourd’hui même, je ne m’étendrai donc pas sur les événements journaliers.

Il m’est impossible de me procurer des cartes du pays en ce moment, dès que j’en aurai, je t’en enverrai.

Tu comprends que, quand nous arrivons dans une commune, et nous sommes 2000, nous remplaçons d’autres qui, eux-mêmes, en remplaçaient d’autres, et ainsi depuis 15 jours. Nous ne sommes pas les premiers venus.

Bonjour et bonne santé. Ton frère H. Moisy. Même adresse

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10 réponses à 18 août : Henri Moisy ne « pense pas à la guerre »

  1. durand dit :

    j’aimerais savoir qui vous a fourni ces information sur henri moisy mon arriere arriere arriere grand oncle

  2. René Cocuau dit :

    cher cousin contactez moi

  3. Hugues MOISY dit :

    Bonjour,
    mon grand-père s’appelait Henri MOISY de Bourgueil, né en 1886, et a fait la 1ère guerre mondiale, donc je suppose qu’il doit s’agir de la même personne, bien qu’il y ait beaucoup de MOISY à Bourgueil. Mon père était Georges, 9ème sur 12 enfants.
    En tout cas merci infiniment pour nous livrer ces lettres dont je n’avait aucunement la connaissance.
    Cordialement.

    • nicolasrimbaux dit :

      Bonsoir, et merci d’avoir pris quelques minutes de votre temps pour nous écrire. Vous avez peut-être remarqué que le blog n’avait pas été mis à jour depuis la mi-juillet, tout du moins pour la partie concernant Henri Moisy. Nous avons corrigé ce retard dû à quelques absences estivales et Comme en 14 a repris son cours. Je vous invite à y retourner car les choses se compliquent pour votre grand-père, qui, début août, est blessé au bras. Par conséquent, sa correspondance sera beaucoup plus réduite.
      Pour votre information, René Cocuau nous a transmis les textes d’Henri Moisy, son grand-oncle.
      Bien cordialement,

    • René COCUAU dit :

      J’ai bien connu ton papa, je jouais avec lui et nous nous baignions dans le Doigt (le Douet) derrière chez lui.

  4. COCUAU René dit :

    Pour Hugues, et pour les autres : J’ai parlé de Tonton Henri le 9 novembre 2018 à Bourgueil, à la salle des fêtes. Et des élèves du Collège Ronsard volontaires ont lu des extraits des lettres et des carnets d’Henri. C’était très émouvant. Je peux refaire la conférence à la demande. René Cocuau

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