5 février 1915. Dès le petit jour, les obus arrosent la route



5 février 1915. Hautebraye -Tranchées

Dès le petit jour, un petit jour rose et frisquet, les obus arrosent la route de Cagny à Hautebraye. La chose est banale et ne vaudrait pas la peine d’être notée si le passage du premier obus au-dessus des peupliers du bas d’ Hautebraye ne faisait s’envoler dans un vacarme amusant les centaines de sansonnets qui garnissent ces arbres. L’oiseau le plus indifférent aux obus est le merle. L’éclatement même ne le fait ni s’envoler ni cesser de siffler. Un des plus peureux est le corbeau.

Toute la matinée est prise par les jeux de l’artillerie et des avions. Nous admirons la grâce et le courage avec lesquels un aviateur ennemi fait des huit et des cercles au milieu des flocons des shrapnells. C’est un ballet aérien très gracieux et nous serions presque fâchés que cet artiste Boche fût atteint par nos obus. Enfin il s’éloigne et un français vient le remplacer parmi les flocons plus gris des shrapnells allemands.

Nous sommes copieusement bombardés de 11h à midi par de bons fusants dont je prends quelques clichés.

Mais à partir de midi et jusqu’à 2h, -serait-ce la trêve du soleil ?- pas un coup de canon, pas un coup de fusil. Jamais je n’avais vu cela jusqu’à présent. Dans les tranchées, les hommes font les lézards. Dans leur abri solide le capitaine Le Folcalvez et Plaisant fument des cigares en sirotant une eau de vie vraisemblablement de betteraves. A la 5ème compagnie, dans les bois qui dominent Autrèches, quelques 77 viennent de briser quelques arbres de plus. Boulanger, un peu plus bas, somnole dans son abri où j’admire, taillée dans le sable, une belle chaise curule. Je vais, je viens dans les boyaux, comme une mouche heureuse de sécher ses ailes au soleil.

Pas un blessé. Pas une goutte de sang n’est venue tacher la pureté de cette belle journée. Et pourtant vers 4h que d’obus de part et d’autre ! Quel vacarme dans ces vallons sonores ! Des percutants font gicler la terre du verger voisin de mon poste. Par les fenêtres sans carreaux pénètre l’odeur fade et soufrée de la poudre. Des shrapnells inondent de bruit et de balles de plomb l’entrée de la route d’Autrèches occupée par des chasseurs à cheval. Pauvres chasseurs ! Plus de chevaux, plus de sabres !… Un mousqueton, une courte baïonnette, un shako entoilé de bleu… Et la vie la plus éloignée de leur idéal de cavaliers, la vie des tranchées… Ils sont moroses les petits à cheval.

A 5h j’apprends que le régiment va quitter les tranchées dans la nuit du 7 au 8. Voilà qui est imprévu ! Caussade monte me remplacer à Hautebraye, je descends à Vic mettre de l’ordre dans mes affaires.

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