4 février 1915. Journée de soleil et de sang.



4 février 1915. Hautebraye-tranchées

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Journée de soleil et de sang. Nos tranchées frôlent les tranchées allemandes, la lutte de tranchée à tranchée est âpre, continue, sans répit. Le secteur de la 8ème compagnie, dit secteur du Rond-Point de l’Etoile est le plus pénible que nous ayons jamais occupé. C’est à ce Rond-Point de l’Etoile que nous avons perdu et repris, il y a quinze jours, un poste d’écoute. Plaisant m’a fait les honneurs de ce coin que l’ennemi occupa un jour et une nuit et que, depuis lors, il accable de ses obus de 105 et de 150. Le bois de pins où se creuse cette tranchée, où se trouvent les abris de Plaisant et du capitaine Le Folcalvez, est comme fauché par un faucheur maladroit qui aurait donné de la faux à tort et à travers, trop haut, trop bas.

L’ennemi est tout près. On n’y parle qu’à voix basse. Les meurtrières, repérées, sont intenables pour le curieux. Mais on a, pour regarder, le précieux périscope de tranchées.*

Mais quel triste et empoignant spectacle ! Entre la tranchée ennemie qui se dissimule dans un boqueteau de bouleaux et notre tranchée, des soldats français, couchés dans des poses de combat, la plupart serrant entre leurs doigts décharnés le fusil, baïonnette au canon, des soldats français, une cinquantaine au moins, gisent, éparpillés dans l’herbe. Ils sont là depuis novembre. Je vois leurs orbites creuses, leurs bouches ouvertes… Je vois un sergent, couché, la tête – quelle tête !- inclinée sur l’épaule. Un soleil magnifique éclaire cette épouvantable hécatombe. Ils semblent menacer toujours l’ennemi qui se terre devant eux, l’ennemi qui les a tués par les meurtrières, sans se montrer. Derrière eux, derrière les sacs de sable qui marquent la tranchée allemande, on voit les murs de plus en plus diminués de la ferme de la Carrière St Victor.

Ah ! ce tête-à-tête silencieux qui dure depuis cinq mois, interrompu à de longs intervalles par un incident qui couche des cadavres de jeunes hommes entre les deux partis !…

Le lieutenant Blanchon au moyen d’un fusil monté sur chevalet lance dans la tranchée du bois de bouleaux des fusées à mélinite qui éclatent avec fracas. Je le laisse à son jeu : c’est un véritable gamin, il rit aux larmes d’entendre éclater sa fusée… Hélas ! son rire est soudain coupé. A peine l’ai-je quitté qu’une des fusées, éclatant prématurément, le blesse aux bras, à la poitrine, à la tête. Je reviens sur mes pas. Je le soigne. Il est criblé de blessures, aucune n’est mortelle. Je l’accompagne à Hautebraye.

Quelques instants après, les six dormeurs de l’abri près duquel Blanchon faisait partir ses fusées, sont atteints par les éclats d’un obus de 105. L’un d’eux m’est amené dans un état affreux : un large morceau de la cuisse pend le long du brancard, la boue du boyau s’est mélangée au sang qui coule à flots. L’os est broyé… Il délire, il demande à boire, il sourit dans sa barbe pleine de terre. Et de ses vêtements en lambeaux se dégage une odeur de poudre. A 4h je remonte soigner deux blessés.

Cette belle journée de soleil et de chaleur précoce a été marquée par des visites d’aéroplanes allemands, accueillies par des décharges de shrapnells français. Et chaque visiteur a fait chaque fois demi-tour devant la barrière des petits nuages blancs. Ces jeux de l’artillerie et de l’aviation sont les seules élégances de cette guerre souterraine.

Ce soir, un bel incendie, causé par nos obus à Autrèches, illumine le ciel.

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4 – 6 février 1915 : De retour en première ligne, je vois un soldat allemand à 70 m



Le jeudi 4 février 1915
Nous marchons toute la nuit et nous arrivons à 4 h aux tranchées de la cote 263. Je loge dans un abri qui est à peu près sec. Nous avons repos toute la journée, ma section étant en réserve. Canonnade et fusillade.

Le vendredi 5 février.
La 2ème section est de corvée toute la journée au nettoyage de la tranchée et à l’élargissement d’un boyau. Des aéroplanes français et allemands nous survolent. Les Allemands lancent beaucoup de fusées éclairantes la nuit. Il fait très beau temps froid.
Le samedi 6 février 1915
A 6 h, nous allons en première ligne, remplacer la première section. Je vais au petit poste pendant une partie de la journée et de la nuit. Je vois un soldat allemand qui se montre au-dessus de sa tranchée qui est à 70 m environ de notre petit poste. Nous aménageons une cabane pour nous abriter et nous y faisons du feu avec du charbon de bois. Nous tirons quelques coups de fusil sur les tranchées allemandes. Il pleut jour et nuit.

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1er – 3 février 1915 : Henri Moisy se prépare à remonter au front



Le lundi 1er février 1915
A 13 h, revue du régiment par le général de brigade, dans un pré auprès de la gare des Islettes.

Le mardi 2 février 1915
Rassemblement de la compagnie à 7 h auprès du cantonnement. Repos l’après-midi.
Le mercredi 3 février 1915
Revue d’armes par le capitaine à 10 h. Rassemblement de la compagnie à 14 h. Le capitaine Arguieff nous donne des ordres et des instructions pour la prochaine période de première ligne. Le 2ème bataillon quitte les Islettes à 22 h.
Le mercredi 3 février 1915 – 15 heures
Mon cher père,

Après avoir passé six jours aux Islettes au repos nous allons repartir sur le front pour une semaine sans doute. Si c’est comme la dernière fois ce sera dur mais pas trop dangereux, il n’y avait pas eu un seul blessé. Les combats se continuent pourtant très violents, le canon français (la grosse artillerie) tonne continuellement le jour et la nuit, ça fait trembler les vitres jusqu’aux Islettes, à dix kilomètres en arrière. Les canons allemands répondent mollement, quelquefois pas du tout. Nous avons maintenant la supériorité en artillerie, ça nous donne confiance dans le combat.

Après une période de temps très froid, le temps s’est radouci et il fait bon maintenant, seulement il y a beaucoup de boue, chose que nous n’avions pas vue depuis une dizaine de jours. Je pense que les grands froids ne reviendront pas maintenant que les jours ont augmenté d’une heure.

Je me porte bien, mes pieds sont en très bon état et j’ai bon appétit. Pendant que j’ai été au repos j’ai toujours mangé du pain de boulanger, j’ai bu du vin blanc et quelquefois du rhum. On pouvait se procurer de tout dans ce pays-là.

J’ai reçu hier soir une lettre de Me Parfait.

Je vous envoie encore des cartes postales qui m’embarrassent et que vous conserverez. Vous me direz si vous avez reçu les autres que je vous ai envoyées par deux fois.

Dans quel état sont les plantes qui sont dans les chambres ?

Vous taillerez, s’il vous plait, tant bien que mal, le rosier qui est à l’escalier.

Je viens de recevoir à l’instant un colis de chocolat de Me Parfait.

Je vous embrasse de tout mon cœur. ‑ H. Moisy

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31 janvier 1915 : que me reste-t-il encore à voir ? Rien de beau assurément



Le dimanche 31 janvier 1915
Je suis de garde toute la journée jusqu’à 17 h. Il passe le soir trois Allemands qui ont été fait prisonniers dans l’Argonne.

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