11 mars 1915. Ce bivouac est hors de description



11 mars 1915 –Somme-Tourbe

Ce bivouac est hors de description : imaginez un vaste champ de boue de deux ou trois kilomètres carrés, quelques paillottes, quelques gourbis en branchages de pins, un ensemble de misère, de saleté et de tristesse indescriptible. Dans cette boue, des os, des pains moisis, des bouteilles vides, des cercles de tonneaux, des boîtes de conserves, des pantalons rouges, des souliers, des fusils, des marmites, des pansements. On ne s’est pourtant pas battu ici : des troupiers y ont cantonné à la veille des combats.

Dans notre gourbi creusé en terre et recouvert de toile et de paille nous avons passé une nuit à peu près blanche : d’interminables convois ont passé sur la route de Sainte-Menehould complètement défoncée. Le canon des Hurlus a grondé toute la nuit. Il neigeait.

Ce matin, dès le petit jour, nous étions autour de grands feux de sapin, buvant un « jus » agréable. Je trouve Voilqué abrité derrière un mur de briques, les pieds dans la fange. Nous prenons un verre de rhum.

Les troupiers se sont disputé la douzaine de gourbis habitables.* La plupart ont passé la nuit assis dans la boue autour des feux.

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Dans la matinée, des régiments relevés des tranchées passent, troupeau tragique, terrifiant d’hommes aux têtes hirsutes, aux vêtements – aux loques- blanchis par la boue blanche des tranchées champenoises. Plus de cadres, plus d’ordre, plus de discipline : ce sont des troupes du fâcheux 17ème corps (Toulouse). C’est peut-être le spectacle le plus triste que m’ait donné jusqu’à maintenant la guerre.

De l’artillerie de tous calibres passe sur les routes se dirigeant vers Perthes. Il passe également des brancardiers, des munitions, des vivres, des convois sans fin.

La gare est remplie d’obus de 90, 105, 120 et 155.

Sur la route tout le 33ème passe en autos.

Des canons détériorés, des détachements de tous les régiments 1er, 2ème, 16ème corps… Fouillis…

Dans la mêlée des autos j’aperçois André Fernet1. Il est maintenant observateur en aéroplane. Il monte un Caudron, règle des tirs d’artillerie et paraît enchanté. (Bedel a ajouté à l’encre bleue d’une plus fine écriture, la note suivante : Il était tué, peu après.)

1

Auteur dramatique, avec qui Bedel a fait du théâtre. Ensemble, ils ont rêvé de gloire littéraire.

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