20 mai 1918.
Notre armée devient une armée franco-américaine.
J’aime à circuler à travers les pauvres petits villages d’Alsace perdus dans les cerisiers : les Américains les ont envahis, hommes kaki sur le fond bleu des Vosges.
Comme des abeilles actives autour de la ruche, vont et vrombissent les side-cars autour des cantonnements.
Un étang où se reflète le Ballon d’Alsace. Une vingtaine de beaux jeunes hommes nus s’y baignent. Paysage antique de René Ménard.
Je cherche le colonel-médecin de la 32ème D.I.U.S. (division d’infanterie américaine). « Where is the surgeon-chief ? » Un motocycliste mulâtre me désigne du doigt une échelle qui monte vers la porte d’une grange. Je grimpe, je pénètre dans la grange : on a rangé le foin de côté, des tables très semblables à des tables de bridge ont été dressées : des jeunes gens à lunettes d’écaille, en chemise kaki, cheveux ras et dents d’or, tapent sur des petites machines à écrire. Un autre téléphone. Un grave et souriant « captain » se lève et vient vers moi. Il sait autant de français que je sais d’anglais. Mais son sourire un peu timide et si gentil en dit long sur son état d’âme : tout ce que je veux, il le veut. Je désire que ses hommes participent à la construction d’une ambulance proche : il m’en offre deux cents pour cinquante que je lui demande. Et il m’offrirait jusqu’à ses dents d’or si je les lui demandais.
Ils ne sont pas guerriers du tout, ces excellents Yankees, oh ! mais là pas du tout. Mais ils ont le cœur inondé de bonne volonté.
Maurice Bedel, un futur Goncourt raconte sa Grande Guerre.