26 août 1917. La terre de Bucy-le-Long est une terre morte



26 août 1917 Bucy-le-Long –Ste Marguerite

Paysage.

A Venizel, on passe l’Aisne sur un pont du Génie. Gendarmes. Et puis chaos. Ingestaque moles. C’est ici que l’on connaît bien que la terre peut mourir : creusée d’entonnoirs, sillonnée de tranchées, hérissée de fils de fer et de chevaux de frise, la terre de Bucy-le-Long est une terre morte. Des équipes d’hommes poussiéreux et suants refont une route à grands coups de pioche et à grands renforts de pierres. Un train blindé circule sur une voix, improvisée, le long du village mort. Camouflé, il est drôle comme un petit chemin de fer pour enfants ; mais ses gros canons sont moins drôles. Une usine électrique toute cassée, une gare minuscule en briques, trouée, déchirée, misérable sur laquelle on lit Bucy-le-Long. Et l’on entre dans ce qui fut une riche bourgade ; il y a des ruines qui ont de la grandeur ; c’est qu’un souvenir historique s’y rattache : Carthage, Pompéi, Volubilis au Maroc, Louvain en Belgique, Reims en France. Qui se souviendra, plus tard, de Bucy-le-Long ?

Le Parc d’artillerie, auquel j’appartiens, possède là des dépôts d’obus qui font sous leur couverture de raphia vert des tumuli dans les champs déserts.

Des « saucisses », au bout de leur fil invisible, stagnent là-haut comme des bulles de gaz issues de ces ruines puantes.

Plus un toit. Plus une porte. Plus une fenêtre. Plus un magasin. Plus un poteau télégraphique. Plus une fontaine. Plus un puits. Plus une boîte aux lettres. Plus un trottoir. Plus un caniveau. Plus une enseigne.

Et plus un jardin.

Tout arbre pouvant donner des fruits utiles à l’homme a été scié et abattu ; quelques-uns ont été écorcés ou tailladés de telle façon que leur agonie fût lente. Leurs squelettes jonchent le sol et déjà les liserons les recouvrent d’un linceul vert et rose.

Des hommes vivent dans ces ruines, des chasseurs, des fantassins, des artilleurs. Contre les murailles écroulées ils ont ajusté leurs toiles de tente et c’est là tout l’abri que leur fournit le gros bourg de Bucy-le-Long.

On va dans ce décor désastreux l’esprit en désarroi. On ne comprend pas bien tant d’inconfort physique et moral. Et, vu d’ici, le désert marocain d’Afennour est un paradis. Ces ruines amoncelées ont une laideur qui n’est pas même pittoresque. Trop de poussière de route les recouvre. Et puis ces écriteaux les militarisent : EAU NON POTABLE… ROUTE GARDEE… AU PAS… GAZ… POSTE DE SECOURS… Les orties les envahissent, des vieilles roues tordues de bicyclettes aussi, et aussi des bidons crevés, des casques bosselés, des pansements ensanglantés, les débris misérables de la souffrance humaine.

Le tonnerre énorme des canons du Chemin des Dames gronde au-dessus de Bucy-le-Long. Et d’autres villages meurent…

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Une réponse à 26 août 1917. La terre de Bucy-le-Long est une terre morte

  1. pponsard dit :

    Tragique…

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