28 août 1916. « LA ROUMANIE A DECLARE LA GUERRE A L’AUTRICHE »



28 août 1916.  Schluchtmatt

Au petit jour, il en passe toujours, des isolés par petits groupes dolents sous la pluie battante. Un médecin – le médecin de ce troupeau- entre dans le poste pour se mettre à l’abri un instant. C’est un gros homme à barbiche noire. Il souffle et crache. Il me parle. Je le sens profondément antimilitariste : « Dire qu’il y a des salauds qui veulent mener ça jusqu’au bout, comme ils disent. Qu’il vienne donc aux tranchées, Briand, et l’on verra s’il parle du « triomphe du droit et de la justice »… – Cependant, objectè-je, il ne me semble pas qu’on souffre beaucoup de la guerre dans votre régiment. – Je voudrais bien vous y voir, clame le gros homme… Dites-donc, confrère, vous n’avez pas un peu de café à m’offrir ?… » Et comme j’enfile ma vareuse, le « confrère » voit mes croix : « Hé bé ! Où avez-vous trouvé ça, confrère ? – Bast ! une nuit qu’il pleuvait… Seulement ce n’était comme aujourd’hui de la pluie qui tombait… plutôt des balles… » Et pendant qu’il se déchausse pour changer de chaussettes, je lui fais chauffer un quart de café.

15h « LA ROUMANIE A DECLARE LA GUERRE A L’AUTRICHE ». Ce bruit vient de se glisser comme un murmure dans les lignes. Un ravitailleur l’a rapporté de Gérardmer… Puis un agent de liaison de la brigade, essoufflé, ruisselant de sueur et de pluie, jette en passant devant mon poste… « La Roumanie marche !… » Alors le bruit prend de la consistance. De ruisseau qu’il était il devient torrent. Il se précipite des hauteurs de France dans les vallées d’Alsace. Il envahit les batteries, puis les postes de commandement, puis les tranchées, jusqu’aux postes d’écoute : « Ohé ! les gars !… Ca y est, la Roumanie marche !… » Aussitôt une pancarte énorme est dressée au-dessus de la tranchée et annonce brutalement à l’ennemi cette nouvelle si grave pour lui. Je téléphone à Gaschney, à la brigade : on me confirme la nouvelle, qui vient d’être lancée par la Tour Eiffel. La T.S.F. des postes d’artillerie l’a saisie au vol… Alors la joie est unanime, bruyante, délirante. Le plus abruti des troupiers en saisit l’importance. On ne saura jamais l’impatience avec laquelle dans notre solitude des tranchées nous attendions cette déclaration de guerre. Peut-être ne produira-t-elle pas l’effet attendu ?… Peu importe, c’est une chance de plus de succès et, surtout, c’est une possibilité d’abréger la durée de la guerre.

Et ce soir dans toutes les popotes on débouche du Champagne à la santé des Roumains.*

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