14 mars 1916. Nous effectuons un tir de destruction sur les maisons



14 mars 1916.

Nous effectuons un tir de destruction sur les maisons, déjà en ruines, entre Stosswihr et Sulzeren, organisées en fortins. A 3h20 le bombardement commence, les canons de 155, 120, 95, 90, 75 et 65 et les crapouillots tirent sans répit jusqu’à 6h20. Notre batterie de 120 envoie 200 obus dont quarante tombent exactement au but. Je vois ce joli petit coin d’Alsace changé en un terrible enfer, les fumées jaunes, blanches, noires de la poudre mêlées à la poussière rouge des tuiles, blanche du plâtre se fondre en un nuage sinistre qui recouvre la vallée. Il restait quelques pruniers, quelques cerisiers, à peu près intacts… Ils sont abattus en quelques instants. Un lavoir au vieux toit gris, posé dans une saulaie, au bord d’un petit affluent de la Fecht, s’émiette sous les crapouillots : là venaient caqueter les vieilles du village…

A 6h, un peloton du 46ème alpins s’élance à travers la mitraille jusqu’aux ruines fumantes, y attaque une soixantaine de Bavarois qui ont tenu bon pendant 3h de marmitage, en tue vingt et ramène trente prisonniers… quelques blessés sont abandonnés à la fantaisie de quelques obus nocturnes.

Les prisonniers sont passés à la Schlucht à 3h ce matin. Ils sont jeunes, solides, proprement habillés, apparemment satisfaits de leur sort. Le seul qui se révolte est un jeune aspirant, figure blonde rose et carrée, qui ronge son frein et tourne insolemment la tête de côté quand on lui adresse la parole. Les malheureux ont les traits creusés par la fatigue : ils nous disent qu’ils prennent depuis un mois, depuis Verdun, la garde pendant 12 heures sur 24, la garde au créneau ou au poste d’écoute. Comme on change à la Schlucht les hommes d’escorte qui vont les accompagner au Collet, ils suivent avec des yeux remplis d’épouvante, le va et vient des lanternes, les mouvements des hommes qui chargent leurs fusils. Ils ont un instant, la certitude qu’ils vont être fusillés. J’en ai pitié. Je leur explique qu’il n’en est rien, que nous sommes des braves gens et que, quoi qu’on leur dise, nous n’avons jamais fusillé nos prisonniers. Ils repartent, rassérénés, en nous faisant un salut impeccable.

Cette journée nous a coûté deux artilleurs, deux servants de la batterie de 75 de Salvert, tués par l’éclatement prématuré d’un obus dans la pièce. La pièce a été elle-même complètement brisée. (Il a été tiré 15.000 obus aujourd’hui sur Stosswhir)

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