10 septembre 1915. je l’ai mis dans mon journal ce nom merveilleux : Alsace !



10 septembre 1915. Refuge du Rheinkopf (Alsace)-

Alsace !

Ca y est ; je l’ai mis dans mon journal ce nom merveilleux : Alsace ! Je suis en Alsace. Je regarde, là en bas, Munster. J’ai à ma droite le Rheinkopf, à ma gauche, le Kastelberg. Que voilà de rudes noms, doux à prononcer ! Et derrière moi et à mes pieds le petit lac romantique de Blanchemer. Et devant moi, à perte de vue, l’Alsace toute bleue dans son manteau de forêts. Mais quels sont ces trous dans ce manteau ? Ici et là je vois comme des accrocs dans ce bleu ; des arbres brisés mettent dans la note sombre des forêts de sapins leur tache gris sale. Ces trous portent des noms à jamais célèbres. Voici, au-dessus de Metzeral dont j’aperçois les ruines, le grand et le petit Reichackerkopf, le Sillackerkopf et puis plus loin le Lingekopf, ce fameux Linge dont la crête est passée en trois mois quarante-cinq fois de main en main. Des canons de gros calibre bombardent, par cette belle matinée d’automne, les belles forêts de l’Hilsenfirst. D’autres bombardent Munster si joliment blotti au bord de la Fecht, les gros nuages de fumée jaune remontent la vallée, passent sur Metzeral et viennent s’effilocher au-dessus de Mittlach. Vue de loin et de haut cette guerre atroce des Vosges devient une guerre d’Opéra-Comique.

Me voilà médecin des artilleurs du secteur Honeck-Kastelberg-Rheinkopf. Les pièces sont hissées de la vallée de Longemer jusqu’à ces hautes crêtes. On a fait des routes pour les amener ici depuis la Schlucht, on a fait des routes pour les amener dans les maigres buissons de hêtres rabougris où elles se dissimulent. Les artilleurs du Rheinkopf me donnent l’hospitalité en attendant que Breitsouzen puisse m’héberger. Breitsouzen est une étable, une « chaume » comme on dit ici, où loge le génie (j’entends par « génie » trois officiers moroses et vêtus de noir qui portent au col de leur dolman une cuirasse brodée en fils d’or.) Je ne pense pas pouvoir m’entendre avec eux dans cette vie sur les cimes. Par contre à la chaume de Image36vivent des officiers d’artillerie coloniale dont l’originalité me plaît.

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