Le dimanche 1er août 1915
Je suis allé à la messe de 6 h (+), à la Grand’messe et aux Vêpres. J’ai pris un bain-douche à l’ambulance 10. Repos toute la journée. Distribution d’effets et de jambières. La compagnie est de garde à 7 h. Le lieutenant Vannier commande la compagnie.
Le lundi 2 août 1915
Corvées diverses. J’ai reçu ma douzaine de photographies et je les ai envoyées.
CARTE-LETTRE gommée trois côtés « Correspondance Militaire » – quatre
drapeaux liés, feuilles de chêne et d’olivier. – Noir et blanc ‑ B. M. Paris.[et suite du texte sur papier quadrillé 4×8]
Lundi deux août 1915
Mon cher père, Nous voilà dans les jours anniversaires de la mobilisation, de la déclaration de guerre et des départs du pays. Après un année d’absence, j’ai encore le bonheur de pouvoir vous écrire et de le faire étant en parfaite santé. Je suis en aussi bonne santé qu’il y a un an, sinon meilleure, et je n’ai eu ni blessures ni maladies, à part la fatigue de septembre dernier. Je puis donc me considérer comme un des heureux de la guerre, car la bonne santé sur le front vaut mieux qu’une mauvaise santé chez soi. J’ai beaucoup souffert et je souffre encore comme tous les autres, des difficultés de la vie dans lesquelles nous vivons, des intempéries et des dangers de la mitraille, mais il n’en reste aucune trace en moi et si je rentrais définitivement aujourd’hui vous ne trouveriez en moi aucun changement physique. Mais intérieurement, nous acquérons une autre conception de la vie que celle que nous avions auparavant. Au contact des difficultés, nous constatons le peu de chose que nous sommes et avec quelle rapidité sont fauchés des milliers de bonheurs.
Je vais commencer la deuxième année avec calme et insouciance comme la première, espérant que la bonne fortune me soit toujours favorable.
(suite de la carte lettre)
Hier dimanche 12 août j’ai encore passé une journée presque civile, comme j’en avais passé une la dernière fois que nous étions aux I[slettes]. A six heures j’ai assisté à une messe basse et communié ; à 9 h ½ grand’messe, à 2 h ½ Vêpres. Il y avait beaucoup de population civile car le pays est habité presque complètement. Aussi je me faisais l’illusion d’être à Bourgueil. A 4 heures il y a eu concert par la musique du 131ème. Enfin c’était une bonne journée.
Comme à l’autre fois que nous étions cantonnés dans le château et dans le parc dont je vous ai parlé vers le 20 juin, nous avons formé une cuisine à part entre sergents et en versant chacun une certaine somme, nous faisons des repas délicieux avec desserts et vins vieux. Seulement cette fois nous sommes cantonnés au milieu du pays au lieu d’en être à 1 km. Nous avons à notre gauche une épicerie et à notre droite un marchand de vin. Vous voyez qu’il ne nous manque rien. C’est aujourd’hui le troisième jour de repos et je n’ai encore rien eu à faire. Je vais donc bien me reposer. Nous y resterons peut-être huit jours au lieu de six Clément Moreau est venu ici le mercredi 28 et moi j’y suis arrivé le vendredi 30 à 11 h ½ du soir, s’il était venu trois jours plus tôt nous nous serions rencontrés et nous aurions passé une journée ensemble.
Nous avons depuis une dizaine de jours comme commandant de compagnie un nouveau sous‑lieutenant instruit et énergique. Il est très gentil et nous nous serrons la main tous les jours. Comme sergent je suis très heureux, très bien vu, et pour rien au monde je ne voudrais quitter ma compagnie. Au moment où j’écris, je viens de recevoir des photographies que j’ai fait faire, j’en ai une douzaine et j’en enverrai à tout le monde. Je vous en envoie une, ça me remplacera auprès de vous.
Agréez, mon cher père, l’assurance de mes sentiments affectueux.
Votre fils ‑ H. Moisy
Le mardi 3 août 1915
Exercice de 6 h 30 à 9 h. Revue d’armes à 16 h. Le sergent Philbert est nommé sous-lieutenant. Violente canonnade à droite du Four-de-Paris. Temps pluvieux. Il a fait de l’orage l’après-midi.
Le mercredi 4 août 1915
J’ai assisté à la messe de 6 h (+). Anniversaire de mon départ de Bourgueil. Exercice de 7 à 9 h. Nettoyage des effets. Concert à 17 h, par la musique du 131ème.
Le jeudi 5 août 1915
Je suis de jour. Exercice de 7 à 9 h. J’ai vu André Brault, du 30ème d’artillerie. Théorie et revues l’après-midi. Les premiers casques ont été distribués.
Le vendredi 6 août 1915
A 6 h, deuxième départ de permissionnaires. Revue d’armes par le chef armurier. Corvées de claies matin et soir. Arrivée d’un renfort de 150 hommes pour le 131ème. Concert auprès de la gare au profit des blessés. Violente canonnade au Four-de-Paris à 21 h, nous voyons toutes les fusées éclairantes qui illuminent la forêt.
Le samedi 7 août 1915
Corvée de claies route de Sainte-Ménehould. J’ai vu André Brault. Revue en tenue de départ à 14 h 30. Nous quittons Les Islettes à 18 h 30 pour aller aux tranchées de Bolante en passant par Le Neufour, Le Claon et Lachalade. La 5ème compagnie est en réserve dans la tranchée Marchand, en arrière du chef de bataillon. Beau temps.
si je ne me trompe pas, le sergent Moisy ( et vraisemblablement ses camarades de combat…) n’a pas eu de permission depuis la mobilisation générale, il y a un an…
c’est quand même bien long compte tenu des circonstances…Je crois que le commandement a seulement commencé à s’en inquiéter dans le courant de l’été 1915 , et encore de façon très parcimonieuse et sélective…