6 janvier 1915. Journée de tranchée au 2ème bataillon où je déjeune.



6 janvier 1915. Berry

Journée de tranchée au 2ème bataillon où je déjeune. Déjeuner souterrain à la lueur d’une bougie. Notre coin est bombardé par d’énormes marmites qui font un bruit effroyable et donnent très peu de fumée. Pluie de terre, et c’est tout… Au premier obus on voit la tranchée se vider instantanément, absolument comme on voit, sur un coup de fusil, une assemblée de lapins regagner ses terriers… Alors les obus suivants tombent, tombent, régulièrement, méthodiquement sur de la terre, dans des fourrés sur rien…

J’aperçois un troupier arrivant en rampant à travers le petit bois qui sépare la 6ème compagnie de la tranchée ennemie. Il tient deux lapins. Il est allé les tuer de deux coups de fusil près du réseau de fil de fer allemand, sous le nez des Boches. Ah ! ces braconniers…

Je prends avec les obus une familiarité qui m’effraie. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à être ainsi. La plupart des officiers sont comme moi. Dans la tranchée du 2ème bataillon, les compagnies se suivent dans l’ordre 5ème, 6ème et 7ème. Quand je quitte l’abri de la 6ème, où j’ai déjeuné, des obus tombent sur nos voisins de la 5ème. Je descends vers la 7ème qui occupe les abords du moulin de Chevillecourt. Les obus qui ont l’air de me suivre à cent mètres tombent à ce moment sur la 6ème. Je pénètre dans la cabane du capitaine Dufour de la 7ème. Je n’y suis pas depuis cinq minutes que les obus qui, décidément me suivaient, tombent sur nous, ou plutôt sur notre toit de terre.

A vivre trop au milieu du danger on perd beaucoup de sa prudence. Il y a des boyaux ; ils ont été creusés pour mettre les allants et venants à l’abri des balles. Quand il a plu, les boyaux deviennent des rivières de boue. Il m’arrive bien souvent, sans réfléchir au danger, de quitter le boyau pour éviter la boue. Il faut qu’une balle claque à mes oreilles pour que je sois rappelé à la réalité. Le capitaine Le Folcalvez poursuit les perdreaux sur un plateau extrêmement battu par les balles, le plateau que traverse le boyau. Il faut un obus, à lui spécialement destiné, pour le faire rentrer dans sa carrière. Et encore n’est-il satisfait que s’il rapporte, à défaut de perdreaux, la fusée de l’obus, qu’il étudie minutieusement.

… Ce soir, pour mon dîner, j’ai mangé du lapin. Ce lapin avait un arrière-goût de laurier. Parbleu ! il fut glorieusement tué ce matin au champ d’honneur… C’est un des deux lapins de l’héroïque braconnier1.

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Boulot de la 7e Cie est un bon soldat
et un bon braconnier.
Le 1er janvier, il a tendu ses collets
entre les lignes françaises et les lignes allemandes
et il apporte deux lapins à ses officiers.
Le 5 janvier, il a voulu offrir deux lapins à ses
camarades et il a été tué.

1 Bedel a photographié ce braconnier, tué pour avoir tenté une fois de trop de prendre un lapin au collet.

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Une réponse à 6 janvier 1915. Journée de tranchée au 2ème bataillon où je déjeune.

  1. Ponsard, P dit :

    pauvre et courageux soldat Boulot, il ne méritait certes pas ce sort cruel…Il est mort en voulant faire plaisir à ses camarades, ce qui révèle un garçon ayant bon coeur…Il reste heureusement les photos de Bedel pour nous rappeler ses exploits 100 ans après.

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