7 janvier 1914. Dieu ! quelles heures intéressantes on passe au poste d’observation de mes amis artilleurs !



7 janvier 1915. Berry

Dieu ! quelles heures intéressantes on passe au poste d’observation de mes amis artilleurs ! De chez eux on voit des Boches. Et c’est chose si rare de voir cet invisible gibier que le premier qui montre à l’horizon la tache grise de sa capote peut être sûr de recevoir son obus.

Nous sommes, dans l’étroit réduit, quatre guetteurs, attentifs, silencieux, derrière les lunettes, les jumelles. Nous fouillons les champs, les fourrés, les tranchées, les abris… Rien. Oh ! il faut être très patient… Chacun se tait et travaille. Soudain le maréchal des logis d’une des pièces prononce ces mots : « J’en vois quatre qui descendent le chemin creux, à droite du grand bouleau. » Nous fixons le point donné. En effet, ils sont quatre qui passent là-bas : l’un d’eux a une culotte noire, un autre a une longue pèlerine grise. Leur marche est embarrassée : il y a de la boue. « Laissons-les avancer un peu plus », murmure le capitaine. Nous savons qu’il va faire tirer… Quel émoi !… entre deux bouffées de cigarettes, le capitaine commande lentement des chiffres que le téléphoniste répète. Pendant ce temps les quatre Boches continuent de déambuler… « Feu ! », dit le capitaine, la cigarette aux lèvres, les yeux à sa lunette périscopique. « Feu ! » répète le téléphoniste, la pipe aux dents. « Broum ! » répond la pièce… Tout là-bas, à 4.200m une flamme, une fumée, quatre hommes qui s’enfuient… Deux disparaissent derrière une haie. Les deux autres sont comme fous. Ils tournent sur eux-mêmes, vont à droite, à gauche, tombent, se relèvent… Cruels, nous rions aux larmes… Mais le capitaine a pitié et leur fait grâce de la vie… Et nous les voyons s’en aller à grands pas, le dos courbé, se croyant défilés alors qu’ils crèvent les yeux de nos jumelles.

Et nous continuons de guetter. La grande occupation est de chercher les batteries ennemies. Celle qui bombarde Vic a changé de place depuis avant-hier… Où est-elle maintenant ? Pendant des heures, un artilleur reste l’œil collé à l’oculaire attendant le très léger, très vague, très furtif filet de fumée qui pourrait lui donner l’indication tant désirée.

Pendant ce temps les Allemands envoient sur le petit bois, où se trouve le poste d’observation, des obus d’un nouveau genre : des fusants de 77 qui éclatent en deux temps. Inoffensifs, d’ailleurs.

… Dans la nuit.

La nuit est absolument opaque. Le vent souffle en ouragan. La fusillade est assez pauvre. De temps à autre une fusée lumineuse s’élève dans le ciel et plane gracieusement pendant une demi-minute… Elle réveille aussitôt tous les fusils endormis… Pif… Paf !… Paf !… Pif !… Paf !… Quelquefois aussi les mitrailleuses : Ploploploploploploplo… Et puis elle s’éteint et le silence reprend… Ou bien c’est un projecteur qui illumine le terrain. Dans ces nuits extrêmement noires, l’inquiétude règne de part et d’autre. Une surprise serait si facile ! Le vent hurle et siffle. On n’entendrait même pas l’ennemi approcher. C’est par ces nuits-là que nos troupiers vont fusiller les sentinelles ennemies.

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Une réponse à 7 janvier 1914. Dieu ! quelles heures intéressantes on passe au poste d’observation de mes amis artilleurs !

  1. P.Ponsard dit :

    la guerre semble être une sorte d’amusement de bon ton pour Maurice, ce n’est sans doute pas l’opinion de la majorité des mobilisés…
    Et puis son statut de lieutenant-médecin lui permet quelques avantages matériels hors de portée du fantassin de base…

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