3 septembre 1914 : j’assiste au bombardement de Rambervillers.



3 septembre 1914. Deyvillers (Vosges)

Mon 3ème jour de combat. Cette fois-ci j’assiste au bombardement de Rambervillers.

J’arrive à 1h1/2 en vue de Rambervillers. Au kilomètre 3,7 se trouve une foule nombreuse d’habitants groupés autour du chef de gare. Ils assistent avec des larmes de rage à la ruine de leurs biens. Depuis ce matin 11h les obus allemands tombent méthodiquement sur le centre de la ville, l’église et l’hôtel-de-ville. Encore une fois je n’y tiens plus de curiosité ; j’enfourche ma bicyclette et je m’enfonce à toute vitesse dans la zone des obus. La ville est absolument vide, seuls quelques chasseurs l’occupent encore. Les rues sont couvertes d’une couche ininterrompue de débris de verre. Toutes les minutes, environ, il tombe un obus. Je vois une porte d’épicerie entr’ouverte. J’entre. Il était temps : un bolide tombe à 50m derrière moi, creusant un sinistre entonnoir au milieu de la rue. J’appelle. On me répond de la cave. Là je trouve deux infirmiers et un civil, l’épicier, en train de deviser autour d’un litre de vin. Ils m’offrent naturellement à boire. L’originalité de la chose c’est qu’au lieu d’un verre ils me tendent un gobelet en aluminium trouvé sur un officier du zeppelin, tombé à Badonviller. Par le soupirail de la cave on entend le vacarme des obus : nuance nouvelle dans leur bruit, on dirait d’énormes plaques de zinc qui tombent sur la ville.

Au bout d’une heure le bombardement diminue. Je mets le nez au soupirail. Cà a l’air d’être moins dangereux. Je me répands dans la ville pour voir les dégâts. Derrière la place de l’église un cheval déchiqueté gît dans une mare de sang coagulé. Un peu plus loin, près d’une fontaine, sont éparpillés les débris d’un chasseur à cheval… Dans une rue un énorme trou ouvre le trottoir : le rez-de-chaussée de la maison est déchiqueté : on vient d’en retirer les corps d’une vieille femme et de trois petits enfants. Détail notable : tout est brisé, haché, émietté dans la petite salle à manger ; des morceaux de marbre, de porcelaine, de glace, de bois, d’étoffes jonchent le parquet ; seul, sur la cheminée reste intact… le globe de la pendule !

Quel silence dans une ville qu’on bombarde ! Quel calme ! J’avais été déjà étonné du calme de la campagne sous les obus. Mais rien ne peut décrire l’aspect d’une ville morte sur laquelle s’acharne la mort. Je crois que pendant une demi-heure, la ville entière est à moi. En tout cas pendant ce temps je n’ai rencontré qu’un vieux monsieur à calotte et à pantoufles qui, sorti de sa maisonnette, semblait compter les trous occasionnés par les éclats d’obus sur sa façade.

Mais quel drôle de plaisir pour un peuple dit civilisé de détruire une ville inoffensive, placide et bourgeoise. Au bruit de ces milliers de vitres volant en éclats je me rappelais ces stupides chahuts de collège pendant lesquels pris d’une soudaine folie, nous cassions les carreaux de la maison. Les Allemands agissent comme des étudiants ivres.

A mon retour, je dois, à peine sorti de la ville, m’aplatir contre un arbre. Un biplan allemand passe à 2.000m et jette deux bombes sur un convoi tout proche de moi ; conclusion : quatre chevaux tués et trois hommes grièvement blessés.

Au loin un « Droeken » vérifie le tir de l’artillerie. Il s’élève au-dessus des lignes ennemies et se balance là-bas à 12kms, hors de portée des canons.

A Girecourt je rencontre le capitaine Bontemps, attaché à l’état-major du 21ème corps (Général Legrand) J’apprends que le 21ème corps se retire cette nuit sur Epinal pour de là gagner le Nord. En effet, toute la nuit, des cavaliers, des fantassins, des artilleurs, des convois, traversent Deyvillers, au clair de la lune.

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