3 septembre 1914 : Henri Moisy marche à grands pas pour ne pas être fait prisonnier



Le jeudi 3 septembre 1914

A 3 h 30, une vive fusillade éclate à quelques centaines de mètres en avant de nous. Vers 5 heures nous nous replions, poursuivis par le feu de l’artillerie allemande. Nous passons à Charpentry et nous regagnons la grand’route de Varennes-en-Argonne. En passant à Varennes j’ai vu la maison où Louis XVI passa la nuit lors de son arrestation.

Nous traversons l’Aire sur le pont de Varennes, sur une place se trouve l’état-major de Vème Corps qui n’a que le temps de plier bagages pour n’être pas prisonnier. Les obus allemands suivent notre recul et tombent à quelques centaines de mètres en arrière de nous. Nous prenons la route de Verdun qui se trouve à environ 30 km et nous nous dirigeons vers le sud. Il passe sur la route des régiments d’artillerie, des trains régimentaires et des régiments de cavalerie et d’infanterie. Il y a trois régiments de front sur la route et un de chaque côté, dans les champs. C’est la retraite de tout le Vème Corps qui suit le mouvement de toute l’armée française. L’armée allemande nous pousse et ne nous donne pas même le temps de faire la grand-halte, nous mangeons tant bien que mal en marchant, après avoir pris du pain sur une voiture de ravitaillement qui passait. Nous traversons Boureuilles, Neuvilly et nous abandonnons la grand’route. Nous suivons une petite route à l’est et nous marchons toujours. Enfin à 16 h nous faisons la grand-halte dans les prés, non loin d’un village que je n’ai pas connu, mais qui devait être Aubréville. Après quelques heures de repos nous repartons et nous arrivons à 20 h 30 à Rarécourt. Ma section couche dans une grange à la sortie est du village. Les habitants sont restés chez eux et je leur achète une bouteille de vin rouge 2 F. Nous touchons les vivres vers 22 h et nous nous couchons sans faire notre cuisine. Nous sommes épuisés, nous avons fait plus de 30 km en suivant la vallée de l’Aire entre la Forêt d’Argonne et la Forêt de Hesse. La chaleur et la poussière nous ont fait souffrir toute la journée. Sur la route de Varennes à Clermont-en-Argonne des voitures à bœufs remplies de meubles, de toute sortes d’objets, de vieillards, d’enfants, etc… étaient intercalées entre les caissons d’artillerie, et les femmes poussaient des voitures d’enfants en pleurant. C’est partout la fuite et chacun emporte le plus précieux. Les gros meubles, les bestiaux restent dans les maisons. Des troupeaux de vaches et de moutons restent dans les prés et fourniront demain de la nourriture à l’ennemi. Il n’y a pas d’autre chose à faire qu’à marcher à grands pas si nous ne voulons pas être faits prisonniers. Je n’oublierai jamais une pareille journée.

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