8 août 1914 Deyvillers (Vosges)
Nous quittons la Grande-Colombière pour aller cantonner, avec 3 compagnies, à Deyvillers. Deyvillers se trouve à six kms. à l’est d’Epinal sur la route de Rambervillers.
C’est un village tout en longueur à la lisière de la forêt et au bord du ruisseau du Saint-Olger.
Je loge chez le maréchal-ferrant avec Caussade.
Nous installons notre popote à l’auberge du pays, chez Vuillaume. Elle est considérablement augmentée, notre popote. Les officiers de la 6ème et de la 7ème compagnies en font partie. La 5ème compagnie dont le capitaine (capitaine Cocagne) m’a l’air d’un ours mal léché, fait bande à part. La 8ème cantonne à Soba, de l’autre côté de la forêt, au bord de la Moselle.
Voici quels sont les officiers qui vont désormais vivre avec nous :
Le capitaine Gresser, commandant la 6ème Cie., grand enfant, très jeune, très rieur, très fort, intelligent et sensible. C’est l’optimiste de la bande. Sort de Saint-Cyr.
Ses officiers : sous-lieutenant Cordonnier, aspirant à Saint-Maixent au moment de la mobilisation, fils du colonel Cordonnier. Type du « parfait homme de guerre » comme dit Caussade. Très sérieux, très « métier ».
S/lieutenant Gassier (St-Maixent), naïf, amateur, surveille sa santé qui est florissante.
Le capitaine Dufour, commandant la 7ème Cie. (sort de St-Cyr). Candidat à l’école de guerre. Très vif, très actif, très intelligent.
Ses officiers : lieutenant Boby (St- Maixent) fait très correctement sa besogne de chef de section. Et c’est tout. Bon caractère. Silencieux.
S/lieutenant Hartmann, Saint-cyrien à la fin de sa première année. Vosgien, rose comme un bébé, travailleur, calme, intelligent.
A ces derniers j’ajoute : le commandant Molard, âme de laboureur dans une enveloppe de guerrier (54 ans, St-Maixentais). Peu sûr de lui, s’en remet à ses capitaines pour les questions militaires. Ne s’en remet qu’à lui pour les questions administratives. Très finaud. Un Lorrain mâtiné de Normand.
Le lieutenant Boulanger, des mitrailleuses. Saint-Cyrien. Le seul officier qui ait des lectures. Violoniste. Très épris de musique et d’alcool. Connaît bien Kipling, Péguy, les Tharaud. Lit les Cahiers de la quinzaine.
Le médecin-auxiliaire Caussade, chef de clinique médicale à Nancy. Arrivera à l’agrégation. Aucune culture autre que la culture sur bouillon, sur gélose ou sur sérum.
Enfin les officiers de la 5ème et de la 8ème Cies. ne vivant pas avec nous : le capitaine Cocagne, 5ème Cie., un ours, mal bâti, mal léché, mal réveillé. Un persécuté. Sort de St-Cyr où il est entré à la force du poignet.
Son sous-lieutenant Henry. Sergent muni d’un brevet de chef de section. Un bêta et un fat.
A la 8ème Cie. : le capitaine Le Folcalvez (élève Brillant de Saint-Cyr, où il a été instructeur). Sorte de vieux jockey, retiré du turf. Fait des mots d’esprit dont il est le seul à rire. Un vieux grand enfant, très épris de lui-même.
Le lieutenant Dupont, fils de la banque Dupont de Roubaix. (Saint-Cyr). Gommeux.
Le sous-lieutenant Marchand. Saint-Cyrien de première année. Un enfant qui a des végétations.
Aujourd’hui, temps merveilleux. Dans le ciel très pur, vers 4h, passe un avion qui ressemble à tous ceux que nous voyons chaque jour aller et venir… Mais voici que quelques flocons de fumée l’encadrent : les forts lui envoient des obus. C’est un avion allemand. Il continue sa course, très haut, défiant les obus. »