14 septembre 1914. Départ de Baccarat à 5h, ce matin, pour occuper la rive droite de la Meurthe.



14 septembre. Baccarat

Départ de Baccarat à 5h, ce matin, pour occuper la rive droite de la Meurthe. Pluie fine. C’est dommage car le paysage est bien beau. Et puis enfin ça ne sent plus le cadavre. Oh ! la bonne odeur de mousse humide, je la hume avec délices.

Pluie. Pluie. De la boue. Impossible de trouver un abri. Nous sommes dans la forêt qui domine la Meurthe. Nous faisons notre popote dans une espèce de petite cabane de charbonnier. Comme assiette j’ai un couvercle de boîte à gâteaux secs, comme menu : cheval, pommes de terre, eau additionnée d’alcool de mirabelle. Nous trouvons n’importe quelle denrée excellente. Ce matin je me suis régalé avec une croûte de pain et deux tiges de céleri cueillies dans un potager.

Ce soir je suis allé voir à l’hôpital de Baccarat les blessés français et allemands. Au moment où j’y pénètre, on en fait sortir un grand jeune médecin allemand, raide comme un fourreau d’épée ; on le fait monter dans une auto, tous stores baissés ; il salue et… adieu ! Les blessés français sont depuis hier dans une joie qui va des larmes au rire… quand j’entre dans les salles, ils se lèvent tous sur leur séant – ou du moins ceux qui le peuvent- ils me font un de ces saluts militaires accompagné d’un de ces sourires dont je me souviendrai toujours. Depuis trois semaines, ils sont soignés par des Allemands : pas un mot d’encouragement, de consolation, pas une nouvelle, ou, mieux, des nouvelles de victoires allemandes, d’écrasements français. Je leur donne du tabac, alors leur joie devient du délire.

Parmi les blessés allemands, il y a quelques braves garçons, qui sourient et cherchent à saluer à la française. D’autres, au contraire, restent arrogants et distants. Un « ober-leutnant » qui a une balle dans le crâne me demande très correctement ce que je pense de sa blessure ; il est poli et simple dans ses manières ; ce n’est pas le genre « hobereau » si déplaisant, si tête-à-claques que nous avons déjà vu parmi les prisonniers. Un tout jeune cavalier allemand nous a tué hier deux chasseurs : il est là, une balle dans la poitrine.

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