13 septembre 1914. Les Allemands ne nous ont envoyé aucun obus cette nuit



13 septembre 1914. Baccarat

Départ de Ménil à 5h pour Baccarat. Les Allemands ne nous ont envoyé aucun obus cette nuit ; leur retraite doit être rapide. Ils ont coupé, en quittant Baccarat, le pont sur la Meurthe. Nos pontonniers nous dépassent pour établir un pont de bateaux.

Nous trouvons un peu partout des Allemands cachés, terrorisés, ne sachant comment expliquer qu’ils veulent se rendre. Ils lèvent les mains et sourient timidement. Ce sont en général de tout jeunes gens. Ils se cachent dans les bois. On en a trouvé, toute la nuit, enfouis dans le foin des granges.

Nous mettons six heures à franchir les 7km qui nous séparent de Baccarat, à travers une forêt puante.

11h -Baccarat-les-Ruines – Tout le quartier central est une ruine, un gros tas de pierres, de gouttières et de volets de fer. L’église, particulièrement visée, a son clocher troué de toutes parts, il tient debout par miracle. A l’intérieur les statues sont décapitées, les lustres brisés.

Le pont est coupé de la longueur de sa 1ère et 2ème arches. On peut encore le traverser en descendant par des échelles sur les pierres effondrées.

Avec quelle voracité nous jetons-nous sur de la viande et du vin ! Nous prenons place à la table qu’occupaient hier les officiers du 170ème r[égimen]t d’infanterie allemand (Badois, je crois) – La coïncidence est amusante-. Les habitants n’en croient pas leurs yeux. Tout sent encore l’allemand depuis les chambres qui sentent mauvais, jusqu’aux rues dont les maisons ont des inscriptions allemandes à chacune de leurs portes.

Nous trouvons des paquets de journaux allemands annonçant en titres énormes des victoires en France, en Autriche, contre les Russes, contre les Anglais. Les Allemands publient à notre instar, une Kriegzeitung illustrée : on y voit 10 chasseurs d’Afrique prisonniers figurant « ce qui reste d’un régiment français défait en Belgique ». On y voit trois blessés allemands gras et souriants, on dirait que ce sont les seuls de la campagne !

Je vais avec Caussade voir le médecin de la Cristallerie. Nous buvons là un champagne qui fait contraste avec notre misère d’hier. L’imprévu est un des « nerfs » de la guerre. Nous allons visiter la fille du directeur de l’usine, gravement malade d’appendicite. Voilà une famille dont : 1°- la magnifique maison n’est plus qu’un monceau de ruines ; 2°- le fils vient d’être tué aux environs de Nancy ; 3°- la fille est presque à la mort ; 4°- l’usine considérable est en partie détruite.

J’occupe, comme logement, la chambre d’un médecin-major allemand. J’ai effacé sur la porte le mot Arzt pour le remplacer par Docteur. Le Arzt est parti si précipitamment qu’il a laissé son savon. Comme le mien est dans ma cantine et que ma cantine est Dieu sait où, je me lave la crasse de 48h qui recouvre mes joues et mes mains avec le savon « made in Germany »

Aux dernières nouvelles les Allemands étaient cet après-midi à la hauteur de Blâmont. Peut-être ont-ils également franchi la frontière. Ouf ! Dormons.

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