5 décembre 1918 De Lure à Saint-Avold



5 décembre 1918 De Lure à Saint-Avold

J’ai pris pour plus de commodité une auto sanitaire. J’ai logé à l’intérieur Lorenzini, mon ordonnance, et Chaigneau, le serveur de notre popote, et mes bagages. Premières lueurs d’une aube mouillée. Lure dort. Lure dort dans le grand silence d’une petite ville que les guerriers ont abandonnée.  Adieu Lure.

Luxeuil. Plombières. Epinal… Epinal de la mobilisation. Le fort des Adelphes où la classe 18 fait l’exercice… Deyvillers. Arrêt chez l’aubergiste Vuillaume où fut notre première popote. Tant de disparus !… Et tant de popotes depuis !… popotes des Vosges, de la Meuse, de l’Aisne, de la Champagne, de Verdun ; et puis popotes de Schmargult, de la Schlucht, de Schiessroth… Et popotes du Maroc, de Meknès, d’Aïn-Leuh, de Timhadit, de M’rirt, de Casablanca… Et popotes de Soissons, de Coulommiers, de Pusy. Et popote de Lure…

Rambervillers. Nos premiers combats. La maison du notaire où nous pillâmes les confitures, le miel et les « denrées périssables ». Dans les façades des maisons les trous d’obus ont été bouchés. Il y a marché sur la place de l’Hôtel de Ville. La vie a repris.

La route de Rambervillers à Baccarat. Est-ce le bois d’Anglemont, ce bois silencieux dans le brouillard ? Le charnier de septembre 1914 est redevenu un petit bois comme tous les petits bois…

Mesnil-sur-Belville. Les premières tombes de mon régiment. Mes pauvres vieux !… Je passe auprès de vos ossements. Je vais en Lorraine. Oui, oui, en Lorraine, par là-bas, vers le Palatinat. On est vainqueurs ! On en a mis, vous savez, depuis le jour de soleil et de triste gloire où vous êtes tombés le nez aplati sur les prés de la Belleville. Mais, enfin, ça y est. On marche sans combat vers le Rhin.

Baccarat. L’herbe pousse sur les ruines.

Merviller. On pénètre au pays de la Mort. Le champ de bataille se dessine. Les maisons crevées, les champs incultes, les réseaux barbelés. Les tranchées. Les arbres hachés. Le silence. L’atroce réalisme de cette guerre sans beauté. C’est ici qu’il faut venir méditer, alors qu’il en est encore temps, sur la Guerre, sur cette Guerre dont la légende va s’emparer et dont il ne restera trace que dans Le Feu de Barbusse.

Blâmont est une ville morte qui sent le plâtre humide, le papier moisi et la paille fermentée.

Avricourt est une ville également morte d’où se dégagent des odeurs de mort. On répare la gare. Un train tente le passage difficile. Des prisonniers italiens, hâves, pataugent dans la boue, une caisse sur le dos, un bâton à la main.

Et puis on pénètre soudain dans une grasse et féconde région en tous points semblable à notre Seine-et-Marne : c’est la Lorraine « désannexée ». Les paysans labourent leurs champs, fument leur terre. Ils ont des chevaux gras, qui vont par attelages de quatre.

Des champs ensemencés de blé. Des boqueteaux de hêtres. Des étangs. Des fermes aux toits plats. Un dernier village, Altweiler, semblable à tous les villages de l’est : maisons basses, toits plats, tas de fumier carrés devant la maison.

Une descente rapide. Une vallée profonde emplie de brume d’où émergent les clochers d’une église considérable : Saint-Avold.

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