5 – 10 juillet 2010 : en première ligne au ravin de Saint-Hubert



Le vendredi 5 juillet 1918
Nous avons repos toute la journée, en raison de la période de première ligne que nous allons commencer ce soir. Il y a contre-ordre pour les emplacements que nous devons prendre et le caporal Brault va visiter les nouveaux emplacements et y reste en attendant la section. Le temps est toujours très chaud. Nous quittons les baraquements de la Fontaine-Ferdinand à 20 h 30 pour nous rendre en première ligne au ravin de Saint-Hubert. Nous passons au Four-de-Paris où il ne reste plus qu’une maison en ruine.

Les 2ème et 4ème sections sont en 1ère ligne, en forêt d’Argonne. Les 1ère et 3ème sections sont en soutien au midi de la Biesme, dans la tranchée que j’occupais il y a trois jours, à 1 km des 1ères lignes. Les deux sections de première ligne laissent leurs sacs au P[oste de] C[ommandement] Touret — (Ravin Vert). Nous remplaçons la 21ème compagnie qui revient à son tour à la Fontaine-Ferdinand. Le sergent Mangé part en permission. Le 5ème bataillon est relevé par le 57ème [régiment] d’infanterie.
Le samedi 6 juillet 1918
La nuit a été calme, nous entendons les camions et le chemin de fer allemands qui font le ravitaillement en arrière de leurs lignes. J’occupe avec ma demi-section (12 hommes), le groupe de combat N° 12. Nous avons un grand abri à deux sorties et plusieurs abris individuels. Plusieurs autres abris sont obstrués avec du fil de fer barbelé. Il y a un observatoire surélevé communiquant avec l’abri au moyen d’une grande échelle. C’est à cet observatoire que se place la sentinelle de jour. Je me loge dans une entrée d’abri abandonné, avec une couchette et une paillasse. Notre îlot est entouré de fil de fer et il y a un seul boyau pour communiquer avec l’arrière. La deuxième ligne où se trouve la moitié de la compagnie se trouve à 1 kilomètre. A notre gauche il y a un poste du 57ème d’infanterie, qui se trouve à environ 400 m ; à notre droite se trouve l’autre demi-section, à l’îlot 8, à 600 m environ. Nous sommes donc absolument isolés pendant la nuit. Les tranchées allemandes se trouvent à 180 m environ et nous n’y voyons rien d’anormal. Le terrain, qui était autrefois une futaie, est couvert de débris de bois mort. Le secteur est très calme, mais inquiétant à cause de notre isolement.
Le dimanche 7 juillet 1918
La nuit a été très calme. Les Allemands ont tiré quelques rafales de mitrailleuses et envoyé quelques obus. On les entend piocher toute la nuit vers leur première ligne, on entend aussi leurs voitures et leur train. Ils lancent quelques fusées éclairantes au cours de la nuit. De mon côté, je n’en lance pas une seule, ne voulant pas leur indiquer l’endroit exact où nous nous trouvons. La journée est encore plus calme, on n’entend pas un coup de fusil, ni autre chose. Le temps est très chaud. A part deux sentinelles, tout le monde dort pendant le jour. La nuit, tout le monde veille. Nous avons 300 grenades et 200 V. B. et une quantité de fusées de toutes sortes. Nous devons résister sur place en cas de coup de main ou de petite attaque, et en cas d’attaque générale avec grand bombardement nous devons faire les signaux convenus et nous replier si possible. La 2ème section qui est plus à gauche est répartie en deux groupes de combat comme la 4ème. Deux hommes de la 1ère section qui est en réserve font nos corvées de soupe et de café. Il y a environ 3 km de nos emplacements aux cuisines, ils font ainsi 18 km par jour. Ils nous apportent aussi le ravitaillement et les lettres. Après la soupe du soir, quand les hommes de corvée sont repartis, nous fermons le boyau avec du fil de fer et personne ne peut nous approcher jusqu’au lendemain matin. Nous devons tirer sur tout ce qui se présente devant, derrière ou sur les côtés, ayant de chaque côté de nous de grands espaces de 500 mètres où il n’y a personne pour surveiller. — Le lieutenant Tuffreau a repris le commandement de la compagnie ce matin et il vient visiter l’îlot 12 où je suis. Le sous-lieutenant Grillet commande les deux sections de première ligne (2ème et 3ème). Le P[oste de] C[ommandement] de la compagnie est au Ravin-Vert qui était il y a huit jours le P[oste de] C[ommandement] du bataillon. Le P[oste de] C[ommandement] du bataillon est à la Fontaine-Ferdinand. Il n’y a donc, sur tout le 6ème bataillon, que 4 demi-sections en première ligne. Vu aéros et Taubes. Le 57ème d’infanterie fait une patrouille en avant de son secteur et nous en avertit en nous donnant les signaux conventionnels de reconnaissance.
Le lundi 8 juillet 1918
Nuit calme dans le secteur. Violent bombardement vers la Champagne. Je vais voir l’emplacement de l’îlot 8 commandé par le sergent Pilon. Je vais jusqu’à la Biesme faire ma toilette. On nous envoie du linge de rechange en première ligne, nous avons toujours des poux. Nous faisons tous les jours la liaison avec le 57ème. Temps clair et chaleur accablante ; nous pouvons aller chercher de l’eau à volonté à une source du Four-de-Paris et nous pouvons faire venir du vin de la coopérative. Bombardement allemand sur nos positions de réserve de 20 h à 21 h 30. L’artillerie française riposte en bombardant l’arrière des lignes allemandes de 21 h 30 à 4 h du matin, sans arrêt. Les obus passent en sifflant au-dessus de nos têtes et c’est un vacarme épouvantable.
Le mardi 9 juillet 1918
Nuit troublée seulement par le violent bombardement. Le bombardement allemand d’hier soir était avec gaz Ypérite, et dirigé sur les abris de la Fontaine-Ferdinand. Il y a eu 157 hommes évacués, de la 21ème compagnie et de la C. M. 6 [Compagnie de Mitrailleurs N° 6], les gaz leur ayant brûlé la peau et les yeux. La journée est calme. Le 57ème vient en liaison au G[roupe de] C[ombat] 12. Le temps est moins chaud. Bombardement allemand par intermittence et tir de l’artillerie française toute la nuit sans arrêt sur l’arrière des lignes allemandes. Les positions que nous occupons dans les bois de Marie-Thérèse sont limitées à gauche par le ravin de Saint-Hubert et à droite par le Ravin des Meurissons ; il y a dans l’intervalle le Ravin-Sec et le Ravin de la Fontaine-du-Mortier. La compagnie occupe un front de 1500 m environ. De la tranchée où je me trouve on voit très bien Lachalade et toute la vallée de la Biesme jusqu’au Claon. Nous sommes à la limite des départements de la Meuse et de la Marne, et le département des Ardennes est tout près, vers Apremont. On voit tout le plateau de Bolante à l’est, ainsi que le ravin des Courtes-Chausses. Il y a encore grand bombardement la nuit vers Reims et la Champagne. Il pleut le soir.
Le mercredi 10 juillet 1918
Toute la nuit, de 21 h 30 à 2 h 30, l’artillerie française tire sur les deuxième et troisième lignes allemandes. Les Allemands envoient quelques obus vers le Four-de-Paris. En représailles du bombardement à gaz par les Allemands le 8, nous envoyons 2000 obus à gaz dans les lignes ennemies. Des officiers du 57ème viennent reconnaître les emplacements du G[roupe de] C[ombat] 12.

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