2 juin 1918. Un dimanche à processions, à robes blanches, à pâtisseries.



2 juin 1918.
Dimanche. Un dimanche à processions, à robes blanches, à pâtisseries.
Le raid infernal s’avance à travers le Valois. Hier soir ils étaient à Neuilly-Saint-Front. Ils sont, ce matin, à Longpont… « Dans Longpont, deux filles aux joues roses rient, accoudées au balcon de l’épicerie… Et le château attend les invités des chasses prochaines, peut-être ne viendront-ils pas, bon vieux château… »
Ils sont venus, bon vieux château. Ils sont venus chassant les hommes bleus du carrefour du Saut-du-Cerf au carrefour des Cornillards.
… Ici, nous plions bagages, discrètement. Le gros matériel, les blessés, les impedimenta sont ramenés à trente kilomètres en arrière des lignes. Serait-ce le signe d’une retraite prochaine ?
On parle pour parler, sans savoir. On dit : « Ils prendront Paris, ils le brûleront, mais la guerre continuera. Nous irons à Bordeaux, nous irons en Amérique, mais la guerre continuera… » D’autres disent : « Nous allons les arrêter une fois de plus. Aurons-nous la sagesse, cette fois-ci, de relaxer Caillaux et de faire la paix avant que nos flottes soient détruites, notre capitale anéantie, la moitié de notre pays ravagée ?…» Et d’autres affirment : « Foch va les culbuter… Il les laisse s’aventurer… Vous allez voir ça !… » On raconte que Clemenceau est dans la bataille, qu’il harangue les troupes aux carrefours des routes, que des uhlans ont failli s’emparer de lui. Les lignes de chemin de fer sont incroyablement encombrées. La ligne Paris-Nancy étant coupée à partir de Château-Thierry, les trains pour Nancy passent par Troyes. Le train de Belfort, parti hier à 8h du matin est arrivé à Lure ce matin à 6h. La 133ème division nous quitte en hâte. Les trains qui l’enlèvent passent de dix minutes en dix minutes. Les hommes luisants de sueur, noirs de poussière, rient et crânent. Ils ont fleuri les portes de leurs wagons avec des genêts et des marguerites. Le téléphone retentit sans cesse, nous demandant jusqu’à notre dernier chirurgien. « Allô !… Allô !…» Il semble que cet « allô » soit un cri de douleur, venu de cette petite ville de Provins, où sur des cartes et sur des plans se joue le sort de la France.

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