1er juin 1918. Les Allemands sont sur la Marne, ils menacent Château-Thierry

1er juin 1918.
Les Allemands sont sur la Marne, ils menacent Château-Thierry et ils menacent Coulommiers (à Coulommiers, je disais que l’on mourait de n’avoir pas vécu…)
Les martinets découpent le ciel de Lure à grands coups de ciseaux. Un amputé de bras se marie à l’église avec une fille aux joues vivement émues et qui a mal aux pieds dans ses chaussures de noce. Les cloches sonnent avec une joyeuse ardeur.
Je ne rencontre pas un visage anxieux. Chacun est souriant comme à l’habitude. A l’Etat-Major on a déplacé la ligne de combat sur les cartes et l’on trouve pittoresque ce gros ventre qui s’avance entre Reims et Soissons vers la Marne, comme suspendu aux flancs d’une hydropique un ventre prêt à crever. Une confiance souriante règne ici comme ailleurs. Il semble que Foch soit un surhomme et Ludendorff un petit garçon. On s’aborde chez le libraire : « Bonjour, cher. – Rien de neuf.- On dit qu’ils approchent de Coulommiers. – De Coulommiers ? Ah !… – Dites-donc, avez-vous lu Némésis, de Bourget ? Bien faiblard… » Et l’on se quitte pour aller à la popote où attendent de belles truites, des asperges, des cerises vernies et du kirsch de Fougerolles.*
Les Allemands sont à Château-Thierry. Des petites filles, dans la rue, jouent à la marelle et leurs mères, accablées de chaleur, les surveillent d’un œil mi-clos… De longs convois d’autos sanitaires s’en vont sur les routes, soulevant dans le soleil une poussière rose. On les regarde passer sans réfléchir, sans savoir au juste… Le capitaine Hart a des bottes neuves et se soucie beaucoup plus de l’effet qu’elles produisent que du sombre communiqué de ce soir. Les Allemands sont à Château-Thierry… La VIIème armée française est à Lure, en Franche-Comté.