30 mai 1918. Heures graves. Les Allemands, d’un bond déconcertant, ont escaladé le Chemin des Dames



30 mai 1918.

Heures graves. Les Allemands, d’un bond déconcertant, ont escaladé le Chemin des Dames, franchi l’Aisne, franchi la Vesle, atteint Fère-en-Tardenois, pris Soissons, Bellen, Ambrief. 40.000 prisonniers sont restés entre leurs mains. Un matériel énorme que l’on n’a pu détruire à temps est à eux. Toutes les richesses guerrières de la vallée de l’Aisne, les HOE de Vasseny, de Fismes, les groupements d’ambulance de Crouy, Sermoise, Mont-Notre-Dame, les camps d’aviation d’Ambrief, tout cet énorme bazar militaire monté à coups de millions pour la bataille du 23 octobre 1917, tout ça, poussière et cendres. Alors, quoi ? Les Foch, les Pétain, les Fayolle, les Franchet d’Espérey, les Maître ?? Des faillis ?… On nous brutalise les oreilles avec des « C’est une surprise… C’est la supériorité numérique… C’est les Anglais qui ont lâché. » Et je songe aux interminables réseaux de fils de fer que nous posions, en hiver 1914-15, sur ce plateau de Belleu si rapidement et si aisément enlevé par l’ennemi, à toutes ces tranchées savamment creusées où mon 170 travaillait à cette époque entre deux séjours aux tranchées… Et je pense à la pauvre vieille chez qui je logeais à Soissons, à ma chambre où tel officier allemand poussiéreux et suant est bien heureux de trouver ce soir le lit que j’avais fait réparer et les « vitres » de toile huilée que j’avais posées aux fenêtres. Je songe avec moins d’amertume aux mercantis de la rue Saint-Martin qui auront laissé entre les mains de l’ennemi leur arsenal de mèches à briquet, de rubans de croix de guerre, de fourragères et de savons dentifrices…

J’entends sur la grand’route de Reims le bruit lourd des camions ennemis, où j’écoutais le roulement de nos propres camions à l’époque où nous préparions notre « petite » bataille de la Malmaison.

Et je vois fuyant sur les vastes plateaux plantés de betteraves les pauvres bonnes femmes de Billy, de Septmonts, de Belleu, poussant devant elles la misérable voiture d’enfant que nous vîmes dès août 14 dans la poussière des routes de la retraite.

1918 ! Nous en sommes là. Les chemins d’Ile de France et de Valois de nouveau envahis par la horde bottée. 1918 !… Alors pourquoi n’avons-nous pas foulé pareillement en 1916 au temps où nous étions les plus forts les routes du Nord, de la Belgique et de la Lorraine ? Pourquoi ?… Parce que nous manquons de génie guerrier. La guerre ne nous intéresse plus, quoi que nous fassions. La guerre « fraiche et joyeuse » des Allemands n’est pour nous, peuple d’esprit, qu’une morne corvée dont nous nous tirons avec le plus d’élégance possible.

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