15 décembre 1917. Je loge chez un vieil homme qui vit tout seul dans sa maisonnette



15 décembre 1917.  Pusy

Je loge chez un vieil homme qui vit tout seul dans sa maisonnette au bas bout du village. La chambre que j’habite était celle de sa fille avant qu’elle devînt demoiselle des Postes à Vesoul. Et le bonhomme n’a plus pour toute compagnie que ses douze poules. Il mange sa soupe le soir à 4h et se couche sitôt sa soupe avalée. Le matin il se lève quand le jour pointe. Il prend sa bêche, et sa journée commence. Il retourne la terre de son petit potager. Il ne parle à personne. Il ne voit personne. Et même quand il s’arrête de bêcher pour cracher dans ses mains, il ne détourne pas la tête vers le chemin où il passe des compères. A 10h il cesse de bêcher pour tout de bon, il laisse ses sabots à la porte et il pénètre dans la cuisine qui lui sert de chambre à coucher. Il allume du feu dans le fourneau, il coupe des navets, des carottes, des pommes de terre et un oignon, il met le tout dans une casserolée d’eau avec un morceau de lard et il regarde sa soupe cuire en chauffant ses genoux douloureux. Puis à midi, il reprend sa bêche.

Il a soixante ans. Il bêchera, mangera de la soupe aux navets, se taira et dormira pendant encore quinze ou vingt ans. Après quoi, il mourra.[…]

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