9 décembre 1917.



9 décembre 1917.  Pusy

En traversant les villages de la Haute-Saône, il m’est venu une chanson dont le premier couplet est :

Il était un’ fill’de fumier

En son gros villag’ de crottin

Les maisons étaient de caillé

Les fontain’s étaient de purin…

Un village de la Haute-Saône c’est du fumier que des maisons assises en rang regardent fumer. Et comme ici le fumier semble être un élément sacré, un encens agréable au dieu des champs, ses fumées montent tout naturellement vers l’église qui est toujours au bout et au haut de l’unique rue du village. C’est ainsi à Pusy, à Pusey, au Val Saint Eloi, à Breurey, à Provenchères, à Villefrie, à Mailleroncourt. C’est ainsi et il ne saurait en être autrement. Tradition.

Tant de fumier, et de telle qualité, finit par être obsédant. Un village qui n’étale pas son fumier est un village mort : on le traverse, à peine s’aperçoit-on qu’il existe. Des filles, et leurs cotillons, vont et viennent, crottin par-ci, purin par-là, menant leurs vaches, menant leurs oies. Les femmes, les bêtes, les mioches, la rue, les maisons, tout porte la livrée du fumier. Devant chez le maire le tas est plus gros. Voilà tout. La maison n’est pas plus propre. Ah !mais non. Ces sombres taudis, ces sources de purin, ces jupons de femmes… Triste humanité. Ah !terrier du renard, nid du loriot, gîte du lièvre !… robe de Madame l’Oie, habit de Monsieur le Corbeau, fourrure de Maître Renard !… J’entends dire à des bonnes femmes fouettant leurs enfants : « Y sont sales, c’est pis que des animaux !… » J’entends dire ça ! J’entends parler d’hygiène municipale… croyez-vous que les lapins assis en rond autour d’un rayon de lune délibèrent pour des questions d’évier et d’égout? Le paysan français est une misérable chose sale. Où se lave-t-il ? Quand se lave-t-il ? Que se lave-t-il ? Mon serin se baigne dans sa petite baignoire. Mon chat se lustre le poil de sa langue râpeuse durant de longues heures. Et le pauvre canard qui n’a plus l’eau claire des étangs se trémousse dans l’eau du ruisseau et tire de cette fange, quand même, des éléments de propreté./…/

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