4 novembre 1917. Ce n’est pas sans fatigue qu’on arrive au lieu du repos.



4 novembre 1917. Hameau de Villers (Nord de Coulommiers)

Ce n’est pas sans fatigue qu’on arrive au lieu du repos.

Nous quittons Soissons en T.M.-T.M. ça veut dire transports militaires automobiles. Dix gros camions avalent mes « bonhommes » dans leur large gueule et démarrent dans un grand bruit d’embrayage, de casques heurtés et d’échappement de gaz.

Je devance le convoi pour aller faire le cantonnement.

Longpont, dans son cadre d’automne, réalise un sonnet de Samain.

La forêt de Villers-Cotterets stéréoscopise une toile de La Touche.

Le canal de l’Ourcq… Diable ! ça, c’est du French et du Maunoury.

Le Plessis-Placy m’affirme par l’abondance de ses silos de betteraves et de ses meules de paille que mon fermier, Courtier, me paiera cette année le loyer de mes terres.

Lizy-sur-Ourcq porte quelques blessures vieilles de trois ans : un pont brisé, deux toitures trouées, quatre maisons brûlées, juste ce qu’il faut pour émouvoir les touristes anglais.

A la Ferté-sous-Jouarre je pense à Labiche comme à Tarascon on pense à Daudet, comme à Chambéry on pense à Rousseau, comme à Montrouge on pense à Romain Rolland, comme à Jouarre on pense à Renan.

Jouarre est la ville de l’abbesse et aussi la ville de l’état-major du corps d’armée.

Une route droite entre un rang de pommiers et un rang de pommiers. Un poteau, une plaque bleue, un nom : VILLERS, une flèche, une distance : 1km4.

Un alignement de peupliers. Un parc (quelle chance !un château). Un maréchal-ferrant, une auberge, une ferme. Deux gamins en bonnet de police : « Villers, c’est ici ? – Non, M’sieu. – Comment ? – Ici, M’sieu, c’est Villé. » Bon. Prononçons Villé, comme nous disions Vély pour Vailly, Bily pour Billy et Sainte-Menou pour Sainte-Menehould.

Voici une ferme : trois vastes bâtiments à granges et à étables ; un tas de fumier au milieu ; un bonhomme… « J’ai pas d’place » jure-t-il avant même que je lui ai adressé la parole. « J’en trouverai », lui affirmè-je en montant aux échelles, en forçant les lourdes portes, en visitant les greniers. Dubois, mon fidèle sergent, inscrit sous ma dictée de beaux chiffres moulés à la craie sur chaque volet, sur chaque porte : 1ère section, 2ème S., 3ème S. … En un quart d’heure j’ai trouvé un domicile pour chacun de mes 150 hommes.

Logement des officiers. Ca c’est plus délicat… Il faut se rappeler que l’abbé Ragu veut une chambre avec une cheminée, que le pasteur Monod veut une écurie particulière pour son cheval, que le rabbin Witsenhausen veut une chambre de la même qualité que celle de ses collègues (antisémitophobie). Et puis allez donc trouver dix chambres propres et meublées dans un hameau de quatre maisons ! Il y a le château. Quand il y a un château et que ce château est inhabité l’officier de cantonnement sauve l’honneur.

Mes hommes ont de la paille fraîche.

Mes officiers ont des lits avec des draps.

Mes cuisiniers ont une cuisine.

Mes tringlots ont une écurie.

Mes chauffeurs ont un garage.

Mes scribes ont un bureau.

Mon aumônier catholique a une chapelle.

Nous avons une popote.

L’honneur est sauf.

Le détachement peut arriver. Je l’attends.

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