19 octobre 1917. La colline embrasée vomit du feu, vomit du fer, vomit des poisons.



19 octobre 1917. Vénizel

J moins 2…

A Vézinel dans la boue et dans l’air humide et gris de cette journée d’automne, au milieu des soldats français graves et fatigués, passent par paquets de dix ou douze des prisonniers au teint plombé, et si boueux que le poids de la boue semble courber leur dos et allonger leurs bras… Là-haut, dans l’Enfer que nous leur créons, ils se rendent, stupides, mous et balbutiants.

Balbutiants, mous et stupides, les malheureux réalisent le passage de l’animal au végétal. Ils sont des façons de madrépores.

La colline embrasée vomit du feu, vomit du fer, vomit des poisons.

Nous-mêmes, nous sommes écrasés sous la puissance du Bruit.

Mais dans ce Bruit, on entend le silence de l’ennemi, silence atroce, silence de renoncement, silence des poteaux d’exécution, silence du Déluge.

Trois Allemands passent… Le plus jeune pleure et son visage douloureux sous le casque trop lourd me fait si mal à voir que je lui souris d’un sourire que je m’efforce de faire fraternel… Il comprend et il me salue d’un pauvre sourire de chien battu.

Les soldats du 170ème régiment d’infanterie, mes anciens compagnons des heures rouges de 1914 et 1915, m’entourent et leurs faces barbouillées de sueur et de boue mélangées sont belles d’une mâle résignation. Ils descendent eux aussi de « là-haut ». En vainqueurs ?… Non. En êtres étonnés d’êtres vivants… Le malheureux Dupont, lui, hélas ! en descend fou. Pauvre bougre, il s’accroche à moi, il m’embrasse, il sanglote. Il a peur, peur, incurablement peur… Les obus qui tombent autour de nous le jettent à terre… Et ses yeux perdus à l’infini ont l’air de regarder un grand trou noir.

Stupides, mous et balbutiants, d’autres prisonniers passent. Il y a tout de même dans leur regard quelque chose d’un peu fourbe qui me rappelle le regard d’un chacal pris au piège, que mes tirailleurs promenaient dans le camp d’Aïn Leuh.

Nuit du même jour.

Nuit de Treumelfeuer. Musique wagnérienne. Il faudrait que ces jeunes Germains entonnassent avant de mourir les chants rudes de leurs ancêtres. Ils se taisent. A peine leurs canons donnent-ils la réplique aux nôtres. Nuit de gloire française.

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