18 octobre 1917. Soissons
Quand un obus de 240m/m tombe et éclate sur une petite maison bourgeoise d’une petite ville de province, je vous prie de croire qu’il ne reste pas grand’chose de la petite maison bourgeoise, sinon un amas chaotique où se distinguent le plus souvent les pieds d’un poêle à charbon et les franges d’un fauteuil de reps écarlate.
Cet incident s’est plusieurs fois reproduit ce matin dans le quartier calme où je demeure. Auprès d’une bicoque pulvérisée j’ai vu un vieux bonhomme qui fouillait avec une pincette dans des linges épars maculés de boue, noircis par le feu de l’explosion. Je lui demande quelle est la besogne qu’il mène si patiemment : « Je cherche, me dit-il, quelques billets qui se trouvaient dans mon armoire… » Toute sa fortune, pauvre bonhomme !/…/
… J moins 3
Aujourd’hui, J moins 3. C’est-à-dire que dans trois jours ce sera le Jour J, le Jour des jours, le Jour de l’attaque.
L’artillerie a commencé hier son grand tintamarre. Je compte quinze « saucisses » dans mon horizon et trente et un avions qui montent la garde autour d’elles. Des chiffres : il y a une pièce d’artillerie, sur le front d’attaque, pour 1m,17 de terrain. Les obus accumulés, pour nourrir ces canons, représentent une somme d’argent de 150 millions. On estime que l’ensemble de l’attaque nous revient à 1 milliard 200 millions. Le 21ème, le 39ème, le 11ème, le 14ème corps, plus des troupes coloniales, des Sénégalais, sont massés entre Braye-en-Laonnois et Laffaux (une quinzaine de kilomètres de front) en vue de l’attaque. Notre corps, le 21ème, est au centre avec à sa gauche le 14ème, à sa droite les 11ème et 39ème.
Ce soir, à l’heure où j’écris, le déchaînement de l’artillerie française est furieux, ininterrompu, implacable. Le ciel est illuminé du feu de ces milliers de pièces. Chez l’ennemi règne la terreur : il n’y a pas de bravoure qui résiste à cet écrasement. Mais cette terreur ne l’empêche pas de contre-battre notre artillerie…