24 septembre 1917. La Poussière règne. Elle domine la scène.



24 septembre 1917.  Soissons

Le Prologue.

La Poussière règne. Elle domine la scène. Il n’est plus besoin de bleu horizon, de camouflages, de simili-prairies, de simili-buisons, de simili-canons. La Poussière a mis le pays comme les hommes à sa livrée, qui, comme chacun sait, est de cette teinte indéfinissable que l’on appelle « gris poussière ». La campagne meurtrie de l’Aisne en est couverte comme de givre, d’un givre de mauvais aloi, poivre et sel. On suit de loin les tours et les détours des routes de Bucy-le-Long, de Reims, de Laon, à la vapeur qui s’en dégage. Convois d’auto-camions, convois d’artillerie, convois de mulets, convois d’ambulances, colonnes d’infanterie, colonnes de cavalerie, font une longue, une interminable procession. Quel désordre, quels embouteillages, quelle pagaye, si, tous les deux cents mètres, un cavalier garde-route à brassard vert et blanc n’était là pour maintenir les distances ! De loin en loin de grandes pancartes annoncent : ROUTE GARDEE… DEFENSE DE DOUBLER… DEFENSE DE TROTTER… RESPECTEZ LES CONSIGNES… GAZ, PREPAREZ VOS MASQUES…

Et les munitions s’accumulent. Et les « saucisses » peuplent le ciel. Et les avions vont en bandes. Et les Allemands tirent là-dedans sans répit. Et les munitions sautent, et les saucisses s’enflamment, et les avions culbutent. Et c’est la guerre, c’est bien décidément la Guerre.

Ce matin un avion allemand a jeté dans nos lignes des « papillons » avertissant qu’obligés de bombarder le dépôt de munitions de Chassemy les Allemands ne répondaient pas des dégâts qu’ils pourraient causer aux ambulances de Chassemy, immédiatement voisines du dépôt. Bien entendu, on n’a pas bougé et, dix heures après, les obus commençaient de tomber sur les baraquements à Croix Rouge, achevant quelques blessés.

A 20h un vacarme effroyable met toute la ville en émoi. C’est une partie du dépôt d’obus de Crouy qui saute, touchée par un 240 allemand. En cinq minutes, dans un feu roulant effréné, six mille obus de 75 font explosion. Une épaisse colonne de fumée jaune monte de là et se répand sur Soissons.

Toutes les dix minutes, méthodiquement, de 20h à minuit, un gros projectile tombe sur la gare ou dans ses environs.

Enfin ce soir à 9h, visite du Mauvais Fantôme. La lune l’éclaire vivement dans sa besogne. De haut, il lâche plusieurs torpilles qui explosent autour de la caserne, au centre de la ville. Et puis soudain, coupant l’allumage, il pique à une trentaine de mètres et, rasant les toits, se met à mitrailler à tours de bandes les rues, les fenêtres, les cours, les jardins de la ville. Quel déchaînement ! Les 75 hurlent. Les mitrailleuses tapent. Les projecteurs balaient ; les obus éclairants illuminent tout, sauf le Fantôme qui, dans un assourdissant ronflement de moteur, rase les cheminées, mitraillant, mitraillant avec une rage d’énergumène. Ses balles frappent les tuiles des toits, les pavés des rues, les arbres, les gouttières. Et, sa mission terminée, il remonte vers la lune et se perd dans les espaces nocturnes.[…]

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