5 février 1917. d’El Hadjeb à Meknès
Pinelli m’a rejoint, et après une nuit passée dans une petite chambre froide, obscure et humide de l’ancienne casbah, nous reprenons la route de Meknès. Le ciel, bas et noir, est menaçant. De gros nuages d’ouest roulent sur la plaine immense. Nous avançons parmi les palmiers-nains sans trêve, sans autre point de repère que ces quatre khima ou cet unique palmier. Une cigogne, non effarouchée happe des vers. Des fausses-aigrettes d’un blanc de neige s’élèvent autour des troupeaux qui paissent. Déjà des narcisses blancs parfument l’air. Puis, quand nous approchons de Meknès, dont on voit au loin, sans jamais les atteindre, les minarets hauts et carrés, des iris bleus, des petits iris nains et qui sentent le miel, mettent entre les palmiers bas leurs touffes serrées, encadrées de feuilles vertes comme des bouquets naïfs. Nous traversons l’Aguedal et ses jardins, ses fouillis de peupliers défeuillés, d’orangers chargés d’oranges mûres, d’oliviers, de grenadiers, de roseaux. L’herbe disparait sous un tapis de soucis orange au cœur noir. L’air sent bon la violette. Par de vieilles portes adorables, par des brèches ouvertes dans les remparts jaunâtres, nous pénétrons en ville. Et déjà je succombe au charme des maisons sans fenêtres et des femmes voilées, sans visage.
Ah, Miknassa la belle !
Un vrai petit paradis lorsqu’on arrive de Aïn-Leuh par des chemins improbables…
Les oranges mures seront délectables et indispensables après ces mois au régime patate/fayots de l’indigente et calamiteuse Intendance militaire… Adieu le risque de scorbut et de déchaussement des précieuses quenottes ! Les dentures vont reprendre du poil de la bête …