28 décembre 1916. Le jour se lève. Le paysage a des puretés de vitrail



28 décembre 1916. M’rirt

Le jour se lève. Le paysage a des puretés de vitrail. La plaine est blanche sous la gelée de la nuit. Rossi, avec deux sections de chasseurs légers et des mitrailleuses, va occuper le Taraft, tout rose. Cette file indienne de petits points noirs à travers les prairies blanches, on dirait des fourmis se hâtant, sur une nappe, vers un plat de pralines.

Le poste est en armes. Les canons et les mitrailleuses ont leur gueule tournée vers le grand arc qui relie le Taraft à la Gara et dont la corde est faite de l’horizon mauve des montagnes des Beni M’Guild.

Vers 9h la fusillade commence. Cela se passe derrière la Table. On peut aisément suivre le combat. D’abord des coups de feu espacés, ceux des partisans d’avant-garde, économes de leur poudre. Puis des coups de feu par trois, par quatre : ce sont les goumiers et les spahis ; peut-être ont-ils mis pied à terre. La fusillade de la cavalerie se prolonge assez longtemps : on en peut déduire que l’ennemi s’égaye et refuse le combat. Il est surpris. De tous les points des montagnes qui nous entourent des appels sont lancés. J’aime ces voix aiguës qui fusent dans l’espace d’un sommet à l’autre : elles passent au-dessus de nous comme des choses ailées. Deux signaleurs qui se renseignent mutuellement sont à sept kilomètres l’un de l’autre. Leurs paroles, qui ne sont pas des cris, traversent dans sa plus grande largeur la plaine de M’rirt. Vers l’oum er Rbia des feux s’allument et leur fumée monte très haut dans l’air calme. Ainsi les Zaian se signalent le danger et de toutes parts les cavaliers s’élancent pour aller secourir leurs frères attaqués. Nous les voyons, obligés de contourner largement le poste pour franchir la plaine, filer au galop de leurs vifs coursiers par les ravins qui mènent à El Hammam.

La fusillade, pendant ce temps, croît et décroît. Ploploplo de mitrailleuses. Quelques coups de canon. On sent que l’ennemi ne se laisse toujours pas accrocher : c’est qu’il n’est pas en nombre. Des renforts lui viennent cependant d’un peu partout. Voilà Rossi qui, du haut du Taraft, tire par salves sur des groupes venus du nord et de l’ouest. Les canons du poste tirent vers l’oum er Rbia sur des groupes de fantassins et de cavaliers.

A dix heures, une lourde nappe de fumée jaunâtre venant de derrière la Gara glisse au flanc des forêts de l’Amane Iramémine. Est-ce la casbah d’El Hammam qui brûle ? C’est probable, car à partir de ce moment le feu des mitrailleuses se ralentit et s’espace.

Les alouettes chantent dans l’air léger. Les fines colonnes des fumées-signaux montent sans une défaillance vers le soleil. Deux sentinelles Zaian, immobiles sur un mamelon vert, nous surveillent. Et un vieillard dirige péniblement sa charrue dans les cailloux, au fond de la plaine… Un vieillard ?… C’est certain : s’il n’était pas un vieillard serait-il là, penché sur ce soc ? Ses fils sont au baroud, cela est certain aussi.

Les alouettes chantent. On dirait des fifres que les mitrailleuses accompagnent au tambour.

Mais voici le lourd tonnerre des canons qui gronde dans la montagne. Les coups succèdent aux coups avec une belle frénésie. Rossi tire par salves, et ses mitrailleuses dévorent des bandes et des bandes de cartouches. Ah ! je vois bien quelle est sa cible… Ce que je prenais tout à l’heure pour un éboulis de pierres derrière la casbah de Titaouine c’était une cinquantaine de fantassins Zaian, immobiles, confondus avec le terrain, à l’affût. Nous tirons sur eux quelques obus à mélinite qui les dispersent aisément. La lourde fumée jaune de la casbah qui brûle s’épaissit et voile l’horizon. Le vieillard persiste derrière sa charrue.

Puis vers 11h l’artillerie se tait. Seules les mitrailleuses de la colonne font encore du tapage. C’est le moment du décrochage. La colonne regagne Lias, un repli de terrain nous gêne pour l’apercevoir. Mais nous pouvons suivre sa marche aux variations d’intensité du ploploplo de ses mitrailleuses.

L’affaire est terminée.

Et le soleil, indifférent, poursuit sa course sereine vers l’Atlantique.

Et le capitaine Courtois, heureux et affamé, se dirige vers la popote où nous attend un plat de tripes.*

T.S.F. 9h du soir.

-I- « Groupe mobile a quitté Aïn-Leuh à 2h pour se porter dans la plaine du Zarou et de là sur la casbah El Hammam après avoir fait occuper pendant la nuit par les troupes mobiles de Lias les crêtes du Merzimame en vue de protéger la sortie des populations soumises assiégées depuis plusieurs jours par les Aït Sgougou d’Aguebli venus au secours de Si Smaïl avec l’aide de contingents Mrabetin. L’opération commencée à 8h a été terminée à midi avec un plein succès et sans aucune perte de notre côté, les insoumis ayant été chassés de la casbah par les goumiers et les partisans et maintenus ensuite à grande distance par le canon et les mitrailleuses. -Toute la population soumise a été mise en lieu sûr auprès du poste de Lias et sera répartie suivant ses origines dans les tribus du cercle.- Après l’évacuation des troupeaux et des bagages, la casbah de Si Smaïl a été bombardée et incendiée. Aux premiers renseignements l’ennemi accuse des pertes qu’il n’a pas été possible de préciser. »

- II- «  Intervention groupe mobile ayant été jugée nécessaire pour mettre fin à situation El Hammam, groupe mobile s’est porté le 28 au matin sous commandement du Lieutenant colonel Colombat dans direction El Hammam.- A son approche Si Smaïl a pu s’enfuir sous un déguisement et grâce au concours acheté 1.000 douros (4.000 frs) du groupe Mrabetin-. Poursuivant sa marche le lieutenant colonel Colombat a pris position à 1500m El Hammam pour protéger évacuation des habitants restés soumis.- Cette opération a parfaitement réussi. Les gens du village ont pu emporter leur matériel pendant que 7ème goumier incendiait casbah Si Smaïl.- Intervention groupe mobile a produit forte impression dans région où Si Smaïl entretenait depuis quelque temps un certain malaise. » Et nous ? Nous délivrera-t-on ?

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