22 août 1916. Poste de secours de Schluchtmatt
Je remplace pour quelques jours Morancé, absent, à son poste de Schluchtmatt. C’est une petite baraque en rondins, semblable à toutes les petites baraques du secteur. Seulement à l’intérieur il règne un luxe inusité et qui s’explique par la proximité des ruines de l’hôtel de l’Altenberg. Je dors dans un beau lit de fer ripoliné blanc, une couverture de soie rouge et d’autres, multicolores, me tiennent chaud pendant la nuit. J’ai des chaises qui sont des vraies chaises et non plus des escabeaux montés sur racines ou branches d’arbres. J’ai une vaste cuvette, bel et bien en porcelaine à filet d’or. J’ai devant ma fenêtre, en guise de rideau, un tapis de table en soie brochée, et j’écris ces lignes sur une table en pitch-pin. Tout cela est bien un peu mangé par les rats et par l’humidité mais le coup d’œil est quand même d’un effet cossu.
Mon étrange logis est perdu dans l’immense forêt de Silber-Wald dont les sapins ont trente mètres de haut, où sur des mousses épaisses le soleil pénètre avec avarice. Je suis à proximité des tranchées d’Ampfersbach, entre deux batteries de 75, et sur la route qui relie Gaschney à la Schlucht par Spitzenfels et l’Altenberg.