25 juin 1916. Je suis allé aux tranchées de Mättle.



25 juin 1916

Je suis allé aux tranchées de Mättle. C’est de l’autre côté de la Fecht sur un infernal promontoire entre la Fecht de Sondernach et le ruisseau de l’Oder. Décor hideux des mauvais points : un bois calciné, une terre jaune retournée, soulevée, éventrée. Des tranchées là-dedans. Les chasseurs-skieurs les occupent. Comme le Reichacker, comme le Kiosque, Mättle est un des royaumes de la torpille, si nombreux dans les Vosges où les mines souterraines difficiles à établir sont remplacées par des mines aériennes. Ca n’en est pas plus drôle pour ça. Lorsque j’arrive auprès de Sondernach une mitrailleuse allemande, au rythme régulier comme un tic-tac arrose le tournant d’un boyau. […] Elle se tait et je puis passer.

Sondernach est dans le même état que Metzeral. Toutes les maisons sont écrasées par les obus. La tranchée française passe dans les décombres des dernières maisons au sud du village. C’est une tranchée en armoires, en fourneaux de cuisine, en canapés et en pianos. Là le buffet remplace le sac à terre. Les objets les plus hétéroclites servent de pare-balles : bidons d’essence, marmites, fauteuils. Une barricade, au milieu de la rue, est établie au moyen d’armoires, de lits de fer, de chaises empilées, enchevêtrées. On aperçoit dans Landersbach, aux Allemands, à 200m de là, la même barricade et les mêmes ruines. Une pièce française de 155 tire sur ce village et de l’observatoire Micheneau où je me dissimule derrière des sapins artificiels et desséchés, j’admire la belle fumée rouge que font, sous nos obus, les tuiles pulvérisées de ces jolis chalets alsaciens.

Je déjeune dans un souterrain, sous vingt pieds de terre. Le secteur de Mättle est riche en sapes de ce genre ; la sape tend de plus en plus à remplacer l’abri en rondins, insuffisant pour résister aux calibres de plus de 20cm. Je suis l’hôte du capitaine de Péon, du 46ème alpins. Il est l’homme le plus habile à surprendre, au microphone, les conversations de l’ennemi d’en face. Il a entendu ce dialogue échangé l’autre jour au téléphone entre un capitaine du nom de Zimmermann et un autre officier bavarois : « Allô !… Oui, j’ai reçu le colis de charcuterie… Douze marks et pas de quoi charger le dos d’une souris… » Chez eux la vie est tout de même plus chère que chez nous !

Que dire de la tranchée ?… C’est se répéter. La tranchée d’aujourd’hui ne diffère en rien de la tranchée de 1915. Les hommes y sont peut-être moins ardents… Voilà tout. Et il y tombe des engins plus variés : le culbutant, la poire, la silencieuse et perfide grenade à fusil, surtout l’énorme, la monstrueuse torpille, sorte de squale aérien aux nageoires d’acier.

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