20 février 1916. Ah ! Quelle catastrophe ! Hélas ! hélas !



20 février 1916.

Ah ! Quelle catastrophe ! Hélas ! hélas !

Mes chers Norvégiens sont rappelés d’urgence à Paris : ordre du grand quartier général.

La journée s’annonçait si heureuse. Un froid sec. Du soleil sur la neige blanche.

A midi et demie Krohg, Halvorsen et Peters arrivent à la Schlucht où ils doivent me prendre pour descendre aux tranchées d’Amfersbach dont je leur fais les honneurs. Joyeusement, nous dégringolons à grandes enjambées le sentier de la Schluchtmatt. Le soleil se joue à travers les branches des hêtres brisés, ouatés de neige comme d’un pansement frais sur leurs blessures.

A Schluchtmatt on me demande au téléphone du poste de secours : «  Allô, allô !… M. Bedel ? (C’est la voix de Webster.) Revenez vite ! On dissout le groupe norvégien… Ordre du G.Q.G… Demain nous devons être à Paris ! » Krohg pâlit et est prêt à défaillir. Le fort Halvorsen devient blanc de révolte. Et nous nous regardons les larmes dans les yeux : « Pourquoi ?… Mais pourquoi ?…»

Nous n’irons pas aux tranchées, mais nous irons à travers la forêt jusqu’aux abords de Schmelzwasen, d’où nous verrons brûler Stosswihr. (Il y reste donc encore quelque chose à brûler ?…) Et mon cher Per Krohg ouvre grands les yeux pour fixer à jamais dans sa mémoire ce trou bleu à travers les sapins par où l’on voit les tranchées françaises. Ah ! cher, cher Norvégien, de quel regard as-tu enveloppé mon Alsace ! Pour ce regard et le serrement de main dont tu m’as brisé les doigts à cette minute quelle affection ne te vouerai-je pas à toi et à ton blanc pays ?…

Tristement, lentement, rageusement nous gagnons à Spitzenfels la route de Munster où un énorme camion automobile nous avale dans sa large gueule noire et nous hisse, en patinant et peinant, jusqu’à la Schlucht et au Collet.

Et là nous nous quittons les larmes aux yeux… Ah ! les chères, les profondes, les brèves amitiés de guerre ! Qui dira la mélancolie de vos ruptures toujours inopinées ? Ainsi quand j’avais des amis, aux temps tragiques de Soissons, de la Champagne… la mort me les enlevait. Aujourd’hui, je ne sais quelle susceptibilité diplomatique m’arrache le cher Per Krohg !…

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2 réponses à 20 février 1916. Ah ! Quelle catastrophe ! Hélas ! hélas !

  1. La Norvège étant un pays non belligérant, il y avait peut’être q.q. problèmes diplomatiques
    avec son puissant voisin a avoir des ressortissants Norvégiens du coté Français…?

  2. pponsard dit :

    en fait ils n’engagent pas leur gouvernement, ils sont venus à titre privé à l’instar d’autres volontaires étrangers qui se sont engagés dans l’armée française…( dans la Légion )
    Je crois d’ailleurs qu’ils sont revenus quelques temps après…

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