26 décembre 1915. Je dois parler quotidiennement du temps.



26 décembre 1915.

Je dois parler quotidiennement du temps. En Alsace, il joue le premier rôle sur la scène des combats. La tempête de neige que nous subissons aujourd’hui, après la tempête de pluie, arrête tout : ravitaillements, canons, infanterie, tout est immobilisé. Téléphones coupés, routes impraticables, je répète ce que j’écris depuis deux mois.

Et vraiment, quelle vie singulière nous menons dans ce coin perdu d’une montagne sauvage ! Bloqués dans nos cabanes par la bourrasque nous n’en sortons guère que pour nous rendre à 11h et à 6h à la cabane de la popote. Alors pour franchir les 50m qui m’en séparent, je dois m’enfoncer dans la neige jusqu’aux genoux, car à mesure que des sentiers sont frayés la neige les comble. Nous sommes généralement trois à table, Spitzmüller, l’énorme Bréhier et moi. Les repas sont notre unique distraction ; Bréhier – beau-frère du restaurant Drouant- sait les ordonnancer avec art et, malgré les difficultés du ravitaillement, les menus sont variés et abondants. A midi, le déjeuner terminé, nous nous quittons et, enfermés dans nos cabanes, nous attendons le repas du soir. La batterie ensevelie sous la neige, toutes communications téléphoniques rompues, se tait. Les hommes coupent les arbres pour se chauffer, fument pipe sur pipe, deviennent de plus en plus mornes et abrutis – et Dieu sait qu’ils le sont déjà !- Et ainsi va la guerre dans les Hautes-Vosges en hiver.*[…]

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Une réponse à 26 décembre 1915. Je dois parler quotidiennement du temps.

  1. pponsard dit :

     » les hommes deviennent de plus en plus mornes et abrutis…Et Dieu sait s’ils le sont déjà… »
    Logique, on le serait à moins, compte tenu des conditions de vie effrayantes auxquelles ils sont soumis…
    De plus le poilu de base n’a pas droit pour lui remonter le moral , à l’expertise professionnelle de l’excellent Bréhier  » beau-frère du restaurant Drouant… » pour lui ordonnancer d’excellents repas, composés de  » menus variés et abondants… »

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