31 octobre 1915. En religion, les temps actuels nous permettent de réaliser des spectacles



31 octobre 1915. Schmargult

En religion, les temps actuels nous permettent de réaliser des spectacles et de réveiller des sentiments tels que ceux que connurent les antiques patriarches et que connaissent encore les populations primitives. En plein air, dans le décor de la montagne et de la guerre, la cérémonie de la messe prend une grandeur inattendue.

Notre aumônier, homme de belle prestance, de belle voix et de belle barbe, a dit pour nous, ce matin, la messe des Saints et la messe des Morts. Pour maintenir en équilibre sur le sol inégal la petite table rustique qui lui sert d’autel l’abbé l’a placée contre un canon ; le crucifix est fixé entre deux rayons de l’une des roues ; la pièce a la gueule tournée vers le Linge, elle porte sur son long museau bleu son nom : l’Invincible. Le prêtre revêt ses beaux habits de soie jaune et de soie blanche, son aube de dentelle, son étole, qu’il sort d’un sac tyrolien. Et le sacrifice commence. Un petit troupier, tout jeunet, est enfant de chœur. Au sermon, ce prêtre aux grands gestes, à la parole inspirée, détachant son ample silhouette sur les fonds bleus du Rheinkopf, ce prêtre me devient un Moïse sur les pentes de ce Sinaï, le Kastelberg. Il nous dit la gloire des morts, il les auréole, les tire de la fange, les exalte de la boue et nous les rend éternels. Le tonnerre grandiose des canons qui gronde dans les vallées achève de réaliser une page de la Bible. Vraiment Jéhovah inspire directement son prophète et je vois auprès de l’autel le Buisson ardent comme j’entends au ciel le déchirement des nuées.

Mais il y a ce canon, l’Invincible… Eh bien ce canon confondu avec l’autel nous rapproche encore des Hébreux : bergers, ils eurent à lutter contre le militarisme orgueilleux des Egyptiens ; ils aimaient la paix, les hautes spéculations de l’esprit, ils avaient les plus grands poètes et les meilleurs musiciens, ils avaient Job et ils avaient David… Ce canon nous rapproche encore des Hébreux. Peuple de paix, ne sommes-nous pas amenés au déchaînement des pires instincts par l’orgueil teuton ? Ah ! peuples, les civilisations succèderont aux civilisations, les Républiques aux Empires, les Empires aux Républiques, les plus beaux monuments succomberont sous le pic des hommes et sous les morsures du temps… Une seule chose est immuable : la Guerre. […]

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Une réponse à 31 octobre 1915. En religion, les temps actuels nous permettent de réaliser des spectacles

  1. Mabileau dit :

    Hélas toujours d’actualité

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