6 septembre 1915. Le médecin-chef d’Epinal m’accorde ce que je veux



6 septembre 1915. Epinal

Le médecin-chef d’Epinal m’accorde ce que je veux : un groupe vosgien où figurent des éléments du 170ème. Je ne sais quand je le rejoindrai, le général-gouverneur n’ayant encore pas décidé.

… Mais qui aperçois-je au coin de cette rue ? Hartmann !… Hartmann maigri, l’air encore délicat, Hartmann laissé pour mort à la tranchée de Calonne une balle dans la poitrine. De quels liens sommes-nous donc unis, camarades de combat, pour qu’une telle émotion nous empoigne à la vue l’un de l’autre ? Comme dit Rudyard Kipling : « nous avons été soudés dans la même fournaise. » Ce petit Saint-Cyrien, je le sens, est mon frère : notre sang a coulé sur le sable rouge des Hauts-de-Meuse un jour de printemps. Déjà rapprochés par les misères et les dangers passés nous avons été unis ce jour-là par le sang répandu. De sa voix de grand enfant qui semble muer encore il me conte comment avec quelques hommes il a tenu en échec, à la tranchée de Calonne, les masses allemandes qui après avoir enveloppé la 8ème et la 5ème compagnies cherchaient à s’emparer de la 7ème. Il me dit comment un de ses hommes a abattu trente Allemands avec trente cartouches, comment ses troupiers, à lui Hartmann, lui manifestaient leur tendresse en l’embrassant croyant qu’il allait succomber… Ah ! ces baisers d’hommes rudes !… « Soudés dans la même fournaise… »

Dans les rues, au quartier, nous en rencontrons quelques-uns de ces anciens combattants de Mesnil, des Eparges. Ils sont un peu nos enfants. Ils nous disent dans leur salut et dans leur sourire l’affection qu’ils nous portent. Ils évoquent la minute tragique où ils furent frappés, les soins que je leur ai donnés, les paroles que je leur ai dites. « Vous vous souvenez, monsieur le major, vous m’avez dit : « on le sauvera ton bras, ne t’inquiète pas… » Et devant ce grand garçon qui agite son bras intact je me plais à évoquer la loque sanglante et boueuse qu’était ce même troupier tombé dans la fange des Hurlus. Miracle des chirurgiens, des infirmières, miracle du bon sang français, qui ne se corrompt point…

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