22-31 juillet 1915 : ici, on ne parle plus de permissions

Le jeudi 22 juillet 1915
Quitté les tranchées de Bolante à 1 h et nous venons au repos à la Maison Forestière. A 9 h nous changeons d’emplacement et nous allons dans les abris qui se trouvent le long de la route de Lachalade. Le capitaine russe Arguieff, qui commandait la 5ème compagnie depuis le 2 novembre 1914 quitte le 131ème et rentre dans l’aviation ; il nous a fait ses adieux à 10 h. Nous avons touché de la paille pour coucher. Je suis de jour. Nous sentons toujours l’odeur des gaz asphyxiants qui ont été envoyés dans le ravin de Courtes-Chausses le 13 juillet. Beau temps.

Le vendredi 23 juillet 1915
Nettoyage des effets, des armes et du cantonnement. Repos ensuite. Temps couvert et humide.
Le samedi 24 juillet 1915
Nous passons aux bains-douches à la Croix-de-Pierre à 7 h. Quelques obus sont tombés aux environs du cantonnement dans la journée. Nous quittons la Maison Forestière à 19 h pour aller aux tranchées de réserve de l’ouvrage 52, auprès du ravin des Courtes-Chausses, le 2ème bataillon est en réserve. Nous couchons dans la tranchée, abrités par nos toiles de tente. Nomination de caporaux et sergents dans le régiment (Ombredane, Defos, Mathieu, Duchet à la 5ème )
Le dimanche 25 juillet 1915
La compagnie fournit des corvées diverses pour les deux bataillons qui sont en 1ère ligne à Bolante. Je suis de repos toute la journée. Départ d’un sergent et deux caporaux à Futeau pour l’instruction. Temps humide.
CARTE-LETTRE gommée deux côtés et rabat. « pour la correspondance

des militaires » ‑ « Franchise postale » ‑ « République Française » ‑ Drapeau tricolore « Honneur et Patrie » sur soleil rayonnant jaune. –

Oblitérations : départ le 26 juillet, arrivée le 28 juillet.

Dimanche vingt cinq juillet 1915

Mon cher père,

Je suis revenu aux tranchées après seulement trois jours de repos, mais nous sommes en réserve assez en arrière de la première ligne aussi je pense être bien tranquille cette fois-ci. J’ai appris que Clément était retourné à son dépôt à Châtellerault et je lui ai écrit à cette nouvelle adresse. Le calme est revenu dans notre région mais on s’attend toujours à une nouvelle activité. Le temps est variable et généralement nuageux et humide depuis une huitaine de jours. Ma santé est toujours très bonne, et comme il ne fait pas très chaud j’ai très bon appétit. ‑ Vous devez être en ce moment surmené par tous vos travaux et je vous souhaite bon courage et bonne santé dans vos occupations. J’ai reçu ces jours-ci une lettre de l’abbé Huguet qui est infirmier dans un hôpital. Je lui avais déjà écrit. Peut‑être allez-vous bientôt commencer à manger quelques grains de raisins. Je ne désespère pas d’y aller un jour, mais il n’y a pas encore une seule permission de donnée dans le régiment. Je suis environ le 20ème de la compagnie. Mon cher père, croyez aux sentiments dévouées de votre fils qui vous aime.‑ H. Moisy
Le lundi 26 juillet 1915
Je vais en corvée toute la journée en première ligne au 1er et 3ème bataillon. Je suis revenu par le Ravin-Sec et le tunnel Marchand que je n’avais pas encore vu. La situation est toujours assez calme depuis l’attaque du 13. Temps humide.
Le mardi 27 juillet 1915
Ma compagnie s’est resserrée sur la gauche à 114 pas par section. L’artillerie allemande bombarde le plateau de Bolante à 14 h. Le génie pose en avant de notre tranchée un réseau de fil de fer barbelé de 15 m de largeur. Tout le 2ème bataillon est occupé à creuser des tranchées. Pluie toute la journée.
Le mercredi 28 juillet 1915
Mêmes corvées qu’à l’habitude. Canonnade française vers midi. J’ai vu à 300 m en avant de notre tranchée un obus allemand de 240 non éclaté. Beau temps.
Mercredi 28 juillet 1915

Ma chère Eugénie,

Reçu hier ta lettre du 24. Je comprends bien que ton travail de chaque jour ne te permette pas de m’écrire plus souvent. Si nous avons des moments difficiles, des moments qui dépassent l’imagination, nous avons aussi des moments où nous sommes bien moins occupés que vous. Ainsi, voilà le quatrième jour que je suis en tranchée, il est vrai que c’est en réserve, eh bien voilà le troisième jour que je ne fais rien, absolument rien, je n’ai qu’à manger, lire et écrire. La nuit, je dors sans être dérangé – à part les poux –, il m’arrive d’être couché douze heures sans interruption. Les hommes font des tranchées dans le jour et se reposent toute la nuit. Il y a bien du changement avec la vie en première ligne, où l’on est de garde 12 heures sur 24.

Ici, on ne parle plus des permissions. Je ne n’étonne pas que Marcel  Méchain soit rendu, car dans l’artillerie il y a plus de monde qu’il  n’en  faut et il est facile d’en envoyer en permission, tandis que chez nous, on  hésite à soustraire quelques permissionnaires à des compagnies qui ont perdu la moitié de leur effectif et qui forment le premier barrage opposé à l’ennemi.

Santé bonne, temps toujours humide. Auguste se porte très bien et je le vois tous les jours. Ma chère Eugénie, je t’envoie un baiser fraternel.

H. Moisy
Le jeudi 29 juillet 1915
Corvée de tranchée avec le génie de 6 h à 10 h. Vu des aéros et des Taubes. Beau temps.
Le vendredi 30 juillet 1915
A 1 h, départ des premiers permissionnaires du 131ème (6 à la compagnie). Toujours mêmes corvées que les jours précédents. Depuis le départ du capitaine, c’est le s/lieutenant Paul qui commande la 5ème compagnie. Je reçois une lettre de Clément Moreau, datée des Islettes, où il est venu le 28 / 07. Nous quittons les tranchées de réserve à 20 h 30, passons par Lachalade et arrivons au repos aux Islettes à 23 h 30. Nous cantonnons au milieu du village dans un grenier.
Le samedi 31 juillet 1915
Repos toute la journée et nettoyage des effets. Je me suis fait photographier.