13-17 juillet 1915 : ce mardi, les Allemands attaquent sur un front de huit kilomètres et tirent environ 50.000 obus ; je n’avais jamais vu aussi fort dans l’Argonne



Le mardi 13 juillet 1915
Nous quittons les tranchées à 0 h 30 et nous sommes remplacés par le 91ème. Nous allons en réserve sur le plateau de Bolante, à 400 m en arrière de la ligne, dans des tranchées et abris. De 3 h à 10 h bombardement allemand de tous calibres, jusqu’aux 305, dont une partie des obus à gaz asphyxiants. Nous sommes obligés de prendre nos masques. A 10 h nous apercevons une épaisse fumée entre les deux lignes. Les Allemands attaquent sur un front de huit km. En face de nous ils pénètrent dans la 1ère ligne et le 91ème est obligé de se replier en abandonnant beaucoup de prisonniers. Nous sommes restés dans notre tranchée de réserve et nous arrêtons l’ennemi qui s’installe dans notre 3ème ligne. L’artillerie ennemie a tiré environ 50 000 obus. Le soldat Mathis a été tué d’une balle dans la bouche en regardant par-dessus le parapet. Le lieutenant Labbé et le caporal Robin sont blessés, ce dernier est fait prisonnier ainsi que les brancardiers qui l’emportent. Le ravitaillement est impossible et nous mangeons des vivres de réserve. La nuit, vive fusillade. Pluie toute la nuit.


Le mercredi 14 juillet 1915
Canonnade française à 6 h. Fusillade à notre gauche. Canonnade et fusillade par intervalles dans la journée. Dans l’attaque d’hier, les Allemands se sont avancés jusqu’à la Pierre-Croisée d’où ils ont été repoussés par le 3ème bataillon du 131ème et le 66ème Bataillon de chasseurs à pied. Le tir de barrage s’est étendu du ravin des Courtes-Chausses à la Maison Forestière, brisant beaucoup d’arbres et occasionnant des pertes aux troupes de réserve. Il y a eu beaucoup de pertes au 113ème, au 91ème, au 4ème et au 131ème. Nous prolongeons notre tranchée vers la droite. A 20 h les Allemands lancent des fusées à parachute qu’ils nous ont prises hier. Temps nuageux et humide.
Le jeudi 15 juillet 1915
Canonnade française à 7 h. journée calme. Les Allemands travaillent et s’installent en face de nous à 120 m environ. Les aéros volent au-dessus de nous. A 15 h bombardement allemand de 105 et de 210 sur la Tour-Pointue. J’ai changé le fusil que j’avais depuis le 2 octobre. Le ravitaillement a repris comme à l’habitude. Nous posons des fils barbelés en avant la nuit et nous creusons la tranchée vers la droite. Pluie toute la nuit.
Le vendredi 16 juillet 1915
Nuit calme. Continuation des travaux. Canonnade et fusillade dans la journée. Un obus allemand a fait exploser un dépôt de munitions près du cimetière de Bolante. Temps nuageux et humide. Nous voyons les Allemands qui piochent en avant et nous tirons dessus.
Le vendredi 16 juillet 1915 – 15 heures

Chère Eugénie,

La poussée allemande qui avait eu lieu depuis quelque temps à quelques km à notre gauche s’est produite cette fois en face de nous et nous avons passé quelques moments difficiles. Mardi 13, il y a eu bombardement allemand de 3 h à 10 h, à l’aide d’obus de gros calibre (105, 240 et 305) et aussi d’obus asphyxiants. Nous venions de quitter les tranchées et nous allions aller au repos. Les deux autres bataillons étaient déjà loin à l’arrière et mon bataillon restait en réserve à 500 m derrière les tranchées. C’est là que nous aurions passé notre repos de six jours. Nous étions remplacés dans les tranchées par le …ème Régiment d’Infanterie.

Après 7 heures de bombardement, comme je te l’ai dit plus haut, pendant lequel il a été lancé peut-être 40 000 obus, les Allemands ont jeté en avant de leurs tranchées du liquide enflammé qui a dégagé une épaisse fumée suffocante, nous avons mis immédiatement nos tampons imbibés d’hyposulfite et nos lunettes. Aussitôt, ils se sont élancés derrière ce rideau de fumée et sont arrivés dans les tranchées de première ligne, qui n’a pas pu résister à cette invasion. Le régiment qui était en ligne a eu beaucoup de pertes, 24 heures plus tôt, c’était mon régiment qui recevait le choc. Dès que nous avons aperçu la fumée, nous nous sommes déployés dans notre tranchée de repos qui formait la troisième ligne. Une demi-heure plus tard, ce qui restait du régiment qui était en avant de nous traversait nos tranchées, poursuivi par les Allemands, et se retirait un peu plus en arrière.

Mais le 131ème était là. Heureusement, sans quoi les Allemands auraient avancé beaucoup. En poursuivant le régiment qu’ils venaient de chasser de la première ligne, les Allemands arrivèrent en masse à 100 m en avant de nous. Jusque là, étant donné la rapidité de l’attaque, ils n’avaient pas rencontré beaucoup de résistance. Debout dans nos tranchées et tirant par‑dessus le parapet, nous les avons accueillis par une fusillade qui les a arrêtés net. Après quelques minutes d’arrêt, ils ont essayé à nouveau d’avancer, mais une autre fusillade leur a montré qu’ils avaient à qui parler. Ils n’ont pas recommencé depuis. Il était à ce moment‑là 11 heures du matin, le mardi 13. L’artillerie ne tirait plus.

Ils se sont installés depuis dans le bois à 150 m en avant de nous et dans une petite pente qui ne nous permet pas de voir leur tranchée. Ils ont sans doute fait une tranchée, car à cet endroit il n’y en avait pas d’avance. Et depuis mardi, nous sommes là, à observer jour et nuit et nous engageons de violentes fusillades par moments. Il y a encore de forts bombardements par moments, mais seulement dans le jour.

A un km en arrière de nous, les effets du bombardement sont terribles à voir. Ce n’est que trous d’obus, arbres coupés et cabanes écroulées.

Tu vois que la journée du 13 juillet a été mouvementée, je n’avais jamais vu aussi fort dans l’Argonne. Ce matin vendredi 16, j’ai vu le journal du jour qui parle de l’affaire ; en voyant le communiqué, tu vas être inquiète sur mon compte, mais ma lettre viendra te rassurer. J’ai aussi envoyé une carte à Aimée il y a deux jours. Ce n’est pas facile d’écrire, il tombe de l’eau depuis mardi tous les jours et nous sommes obligés d’être dehors. Je me porte bien malgré tout, mais nous allons passer un drôle de repos. J’espère que nous irons un peu à l’arrière, après de si rudes journées.

Auguste se porte bien.

Tu me parles dans ta lettre des permissions du front. Il en a été question en effet, mais depuis mardi on n’en parle plus. Peut-être irons-nous plus tard. Mais il y en a pas mal à partir avant moi, ma campagne d’août ne compte pas puisque je suis resté à Orléans. Il n’en est pas encore parti de la région où je me trouve et ce n’est pas le moment. Il ne faut donc pas m’attendre tout à l’heure.

Nous avons été deux jours sans recevoir de lettres et sans toucher de ravitaillement. Nous avons mangé des biscuits. J’ai reçu huit lettres hier. Ma chère Eugénie, reçois de ton frère un baiser affectueux. ‑ H. Moisy

Note : L’enveloppe de cette lettre porte les oblitérations suivantes :

Recto : TRESOR ET POSTES – 59 – 17 JUIL 15 –

Verso : BOURGUEIL – INDRE ET LOIRE – 7 H 26 – 7

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Une réponse à 13-17 juillet 1915 : ce mardi, les Allemands attaquent sur un front de huit kilomètres et tirent environ 50.000 obus ; je n’avais jamais vu aussi fort dans l’Argonne

  1. pponsard dit :

    dans des conditions difficiles, voire même très souvent périlleuses, il est réconfortant de constater que la poste aux armées fonctionne à merveille…Ce qui est d’ailleurs indispensable au moral des troupes, car sans courrier quasi quotidien le moral des combattants risquerait de rapidement s’effondrer….Et le moral c’est essentiel !

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