4-6 juin 1915 : environ 95 % des hommes ont des poux, même les officiers



Le vendredi 4 juin 1915
Ma section quitte la première ligne à 4 h et s’installe en 2ème ligne. Repos toute la journée. Violente canonnade à 18 h. Le temps est couvert et moins chaud qu’à l’habitude.

Le samedi 5 juin 1915
Entretien et réparation des tranchées et boyaux. De l’endroit où nous sommes placés, nous avons une vue superbe sur Vauquois, Boureuilles, Neuvilly, Aubréville et toute la vallée de l’Aire. Canonnade française sur les tranchées ennemies à 18 h, comme les jours précédents. Beau temps très chaud.


Le samedi cinq juin 1915 – 7 heures

Mon cher père,

Je vous écris par une belle matinée ensoleillée. Toute la plaine de Boureuilles et de Neuvilly, qui se trouve au-dessous de moi, est couverte de brouillard, on ne voit absolument rien. Au-dessus du brouillard j’aperçois le sommet de la butte de Vauquois. Où je me trouve il n’y a pas de brouillard, car c’est aussi très élevé. S’il fait un aussi beau temps à Bourgueil vous devez être très heureux pour la fenaison qui doit battre son plein en ce moment. Je ne peux pas me faire une idée de ce que peuvent être les récoltes à l’heure actuelle, car je n’ai vu que des prés cette année. Il n’y a autour de nous ni vignes, ni céréales, ni graines, ni légumes. Tout est en friche et tout est désert. Mon jardin doit être joli à l’époque où l’on est, c’est le moment où la nature est la plus verte. Vous devez avoir des légumes et des fleurs à profusion et vous aurez bientôt des guignes. Il est à peu près certain que je serai encore privé cette année de fruits et de toutes sortes de bonnes choses rafraîchissantes.

Ici c’est toujours la même vie, je me trouve en ce moment en deuxième ligne et dans nos tranchées il fait une chaleur accablante. Tant que je ne suis pas de service je me mets à l’ombre dans une cabane sous terre, je lis, j’écris ou je dors. Je peux avoir le journal tous les jours, et le journal du jour même. Il part de Paris à 9 h du soir et le matin à 9 h nous l’avons dans les tranchées de l’Argonne. Vous voyez que maintenant je suis aussi bien renseigné que vous sur la situation.

Dans le secteur où je me trouve le sol est fouillé partout, il n’y a que des tranchées, des boyaux, des trous de mines et d’obus. Tout est garni de fil de fer barbelé en avant et au-dessus des tranchées. Ca ferait une drôle d’impression à celui qui ne l’a jamais vu. C’est comme une forteresse. Tout est calme mais tous les soirs vers 6 heures, il y a une violente canonnade française, les obus éclatent avec fracas sur les tranchées allemandes à 15 m de nous et les éclats retombent jusque dans les nôtres, mais nous nous mettons à l’abri. Dans deux jours nous irons au repos comme à l’habitude pour six jours. J’ai reçu hier soir une carte de Marcel Méchain et une de Louis David, ils se portent bien.

Environ 95 % des hommes ont des poux, même les officiers en ont. Naturellement j’en ai aussi. C’est triste à dire, mais depuis le mois de février il est impossible de s’en débarrasser. On a beau changer de linge, prendre des bains-douches, le soir on se couche sur de la vieille paille qui en est remplie et on est aussitôt infecté. Tous les remèdes sont impuissants et on se contente de faire une bonne chasse dans la chemise de temps en temps. La nuit on passerait bien tout son temps à se gratter. Il n’y a pas de honte à cela puisque tout le monde est au même rang, mais c’est inutile d’en parler, je vous le dis personnellement et à titre de renseignement.

Mon cher père, je ne vois plus rien à vous signaler. Auguste est toujours avec moi et vous souhaite le bonjour. J’espère bien que nous resterons ensemble jusqu’à notre retour à Bourgueil qui arrivera bien un jour ou l’autre.

Je vous embrasse de tout mon cœur. ‑ Votre fils ‑ H. Moisy.

Je vous envoie encore quelques cartes postales qui encombrent mes poches et que je ne veux pas faire brûler. Vous les mettrez avec celles que je vous ai déjà envoyées.‑ H M

Le dimanche 6 juin 1915
La journée a été calme. De 15 à 20 h, 300 crapouillots sont tombés dans notre secteur. La 6ème compagnie en a lancé tout l’après-midi. A 20 h, attaque de Vauquois par la 10ème division, à l’aide de pétrole enflammé. Vauquois a brûlé de 20 h à 22 h et de la cote 263 nous voyions très bien les flammes.

  • Facebook
  • Twitter
  • Delicious
  • LinkedIn
  • StumbleUpon
  • Add to favorites
  • Email
  • RSS
Cette entrée a été publiée dans Eugène à la guerre, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à 4-6 juin 1915 : environ 95 % des hommes ont des poux, même les officiers

  1. pponsard dit :

    incroyable cette livraison des journaux de la veille au soir à Paris en pleine tranchée de première ligne le matin à 9 heures…Cela suppose une réelle organisation et le désir de ne pas laisser le troupier dans l’ignorance des évènements…Sachant bien entendu que la presse étant soumise à une censure plutôt tatillonne, les textes sont soigneusement expurgés de tout élément  » indésirable »…

  2. pponsard dit :

    Les poux : Mon oncle qui a fait toute la guerre en ligne ( sauf un intermède à l’armée d’Orient ) dans les chasseurs à pied, revenait en permission couvert de  » totos » dont il était difficile de se débarrasser même après un, voire plusieurs bains chauds…
    Seul le souffre y parvenait, mais c’était très désagréable bien évidemment…

Répondre à pponsard Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>