20-22 mai 1915 : retour en première ligne



Le jeudi 20 mai 1915
Nous quittons le cantonnement du Claon à minuit et nous allons aux tranchées de la cote 285, secteur de gauche, où nous arrivons à 4 h. Nous sommes compagnie du centre du bataillon, nous remplaçons la 6ème compagnie du 82ème. Les tranchées allemandes sont à 60 m environ. La journée est calme et comme nous avons marché une grande partie de la nuit, nous nous reposons à tour de rôle dans la journée.

Le vendredi 21 mai 1915
Aménagement des boyaux et tranchées. Les tranchées allemandes sont trop rapprochées pour que nous puissions poser des fils de fer en avant et nous jetons simplement par-dessus le parapet des hérissons et des spirales. Les Allemands tirent continuellement dans nos créneaux et il est très dangereux de passer derrière sans se baisser. Nous tirons aussi dans leur parapet.
Le samedi 22 mai 1915
Une mine a sauté en face du 313ème ; aussitôt il se déclenche une violente fusillade et canonnade des deux côtés. Nous continuons à aménager la tranchée. Vu aéroplanes.
CARTE POSTALE

Recto :  » Souvenir d’Alsace. »

[Une Alsacienne en coiffe au pied d’un arbre porte un bouquet, la main à la bouche, l’air affable. La même en buste dans un rond, souriante. En fond, affiche : ruines romantiques d’un château rhénan. Gros bouquet tricolore à la place des branches de l’arbre. L’arbre est inclus dans l’affiche.]

Verso :

Le samedi vingt deux mai 1915

Mon cher père,

J’ai reçu hier soir une lettre d’Aimée me donnant des nouvelles de votre santé qui est toujours bonne d’après ce que je vois. Vous avez maintenant de la compagnie à la maison en la personne du soldat qui loge avec vous. Je me représente le jardin comme devant être très beau en ce moment, les rosiers doivent être couverts de fleurs. J’espère que vous pensez toujours à faire prendre l’air à mes effets, aux meubles et à ma chambre. Pensez aussi à mon complet redingote et à mon « tube », qui ont autant que le reste besoin d’air. J’espère toujours et plus que jamais reprendre bientôt tous mes effets civils, et depuis dix mois que je me vois en grande capote je ne me reconnaîtrai plus quand je serai en veston. Quel soulagement ce sera de quitter ces gros effets de drap et de pouvoir coucher enfin déshabillé, sans avoir autour du corps l’équipement et les cartouchières. Je ne me suis pas couché en chemise depuis le 2 octobre et depuis ce temps-là c’est toujours sur la terre avec plus ou moins de paille.

Enfin ça finira bien un jour ou l’autre. Vous allez bientôt commencer à soufrer, je vois d’ici tout le travail que vous allez avoir à faire et nous, nous sommes des journées entières à ne rien faire et à regarder un ennemi qui reste toujours invisible et qui ne signale sa présence que par des coups de fusil. Comment ça finira-t-il ? Personne ne peut le dire. Il fait depuis trois jours un temps très chaud et comme il n’y a plus d’arbres à l’entour des tranchées ça chauffe dur. Je vous écris cette carte dans un abri‑caverne, sous terre, et la tache qui est sur ma carte est produite par une goutte de sève qui est tombée d’une racine coupée. Vous voyez que nous sommes bien sous terre. Mon cher père, je vous prie de croire à toute mon affection. Votre fils dévoué ‑ H. Moisy

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Une réponse à 20-22 mai 1915 : retour en première ligne

  1. pponsard dit :

    toujours émouvantes et bien détaillées les lettres du sergent Moisy , et quelle belle piété filiale il démontre, tout ceci n’existe plus 100 ans après, disparu, volatilisé…!

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