10 mai 1915. Journée d’hôpital



10 mai 1915. Contrexéville

Journée d’hôpital :

A 6h1/2 un magnifique artilleur (pourquoi n’est-il pas sur le front ?) nous apporte Le Matin et Le Petit Parisien. Lecture avide du communiqué et des nouvelles : Le Lusitania est coulé par une torpille allemande. L’Italie marchera-t-elle ? Ne marchera-t-elle pas ? (Au fond ça nous est bien égal : nous n’avons pas besoin d’elle pour vaincre.)

A 7h on nous apporte du café au lait, on ouvre la fenêtre et l’on fait la chambre. L’infirmière, Mlle Ponce-Boutarel, vient prendre notre température.

A 8h30, visite du médecin-chef : « Bonjour, ça va ? – Oui, je voudrais bien me lever. – Non pas encore. – Pourquoi ? – Parce que… – Parce que quoi ? – Parce que vous n’êtes pas encore assez solide. – Des jambes ? – Non, de la tête. – Merci pour ma caboche ! » Et me voilà cloué au lit pour une journée. Quel supplice ! Il y a pourtant là derrière le carreau un pommier en fleurs sous lequel il ferait bon s’asseoir. Il y a si longtemps que je n’ai senti le parfum d’amande des pommiers en fleurs…

A 9h Madame de Ravel vient voir son mari. On bavarde. On potine. Le temps passe.

A 10h l’infirmier apporte le déjeuner : rôti de veau, salade, chou-fleur, tartes. Et la journée déjà parait bien longue. J’apprends que le médecin-chef s’est absenté. Je saute du lit. Les murs de la chambre font un tour de valse pendant que je glisse ma culotte. Je m’appuie à leur paroi mouvante et je gagne à petits pas le jardin où le pommier m’attire. Je m’assieds sur le banc à l’ombre de l’arbre parfumé. Mille spectacles me retiennent et m’enchantent. Je suis un enfant étonné des choses de l’univers : ce hanneton qui dévore une feuille de marronnier, cette fourmi qui transporte une lentille, ces crosses de fougères qui ont l’air de points d’interrogation posés par les gueules ouvertes de leurs voisines les violettes, ces chants d’oiseaux, ces odeurs de lilas… Quelles nouveautés ! Elles font mon étonnement jusqu’à 3h, heure à laquelle je regagne ma chambre et mon lit.

A 6h, dîner : potage, bœuf bouilli, viande froide et salade, asperges, confitures.

A 7h la nuit vient. L’infirmier de garde baisse les volets, allume l’électricité et se retire sur la pointe de ses gros souliers à clous.

A 8h, bonsoir.

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Une réponse à 10 mai 1915. Journée d’hôpital

  1. pponsard dit :

    « magnifique artilleur » pas sur le front…En effet, comme pour d’autres assez nombreux on peut se demander pourquoi…
    Irremplaçable Mademoiselle Ponce-Boutarel et ses bons soins, voilà ce qui donne le moral et l’envie de se lever…
    Déjeuner à 10 heures, un peu tôt pour déjeuner certes … sans doute le règlement de l’hôpital l’exige t-il pour des raisons  » d’intendance »…Et puis  » rôti de veau, salade, choux-fleurs, tartes… » il y a pire comme déjeuner en temps de guerre…Et à 6 heures on remet ça… »potage, boeuf bouilli, viande froide, asperges et salade, confitures… ». Repas ( trop…) copieux, viande deux fois par jour, les blessés et convalescents pour la majorité d’entre eux mangent certainement mieux que chez eux…A ce régime-là ils vont vite être de nouveau sur pieds et repartir pour la  » riflette » !

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