21 avril 1915 : depuis huit jours, nous avons des cuisines roulantes



Le mercredi 21 avril 1915
Exercice pendant une heure le matin et deux heures le soir dans la Forêt. La forêt n’est pas endommagée et il y a de très beaux arbres.

Une cuisine roulante allemande en 1914

Une cuisine roulante allemande en 1914


Bellefontaine , Le mercredi vingt et un avril 1915.
Mon cher père,
Voilà un mois que je suis revenu de Bellefontaine et depuis ce temps il n’y a pas de changement dans notre vie de tranchée. C’est toujours la même occupation : veiller aux créneaux jour et nuit, tirer quelques coups de fusil dans le vide puisque nous ne voyons jamais d’Allemands, quoique nous en soyons à 40 mètres, tendre des fils de fer barbelés au-dessus et en avant de la tranchée, construire des cabanes de repos, tel est le travail que nous faisons en ce moment.

Depuis hier nous sommes au repos dans des baraquements en planches qui ont été construits depuis deux mois. Dans chaque cabane il y a de la place pour 50 hommes. Nous sommes très bien et c’est très propre. C’est situé dans un ravin au millieu de la Forêt, à 600 m de là se trouve une source abondante où il y a lavabo, lavoir et abreuvoir. Il y a un établissement de bains-douches à 40 places. J’ai pris un bain d’eau chaude hier, aussi bon comme dans n’importe quelle caserne. C’est maintenant le meilleur cantonnement que l’on puisse avoir dans notre région. Il y manque un épicier et un marchand de vin. Dans la journée on s’assoit sous les arbres pour écrire ou lire.

Comme je l’avais déjà écrit, à chaque repos on ramasse notre linge sale et on nous en donne du propre.

Depuis huit jours nous avons des cuisines roulantes, ça ne vaut pas les cuisiniers d’escouade et nous sommes mal nourris.

Comme j’ai changé de section ce ne sont plus les mêmes hommes que j’ai à commander, et maintenant j’en ai le double, deux escouades au lieu d’une ; je suis déjà habitué avec mes nouveaux « poilus ».

Il fait toujours très beau temps, je crois que nous allons pouvoir abandonner bientôt les effets de laine. J’ai lavé du petit linge hier et il est déjà sec. Quel changement avec le mois de janvier. Au repos, je mets des savates qui me délassent les pieds.

Nous avons toujours à la 5ème Cie notre capitaine russe, le capitaine Arguieff, il est âgé de 29 ans. Nous voudrions bien ne jamais le perdre, c’est un charmant garçon qui connaît bien son métier, qui n’a pas peur et qui aime bien ses hommes. Il ne passe jamais à côté d’un homme sans lui parler. Il ne parle pas très bien le français et c’est drôle de l’entendre causer, il faut en deviner la moitié, malgré cela il est très intelligent et très instruit. C’est aujourd’hui le meilleur du régiment et toutes les compagnies nous l’envient. Il a été blessé à la tête il y a huit jours par un éclat de balle mais il n’a pas voulu être évacué, il a maintenant la tête enveloppée.

Nous avons aussi un bon commandant et un bon colonel, ils ménagent autant que possible la vie de leurs hommes.

Nous avons du vin tous les jours, environ un litre pour trois, et du rhum, un litre pour vingt-cinq. Mais pas tous les jours.

Je me porte bien.

Que faites-vous en ce moment ? Avec le printemps vous allez avoir plus de travail que vous ne pourrez en faire. Pourvu que nous ne restions pas tout l’été dans l’Est.

Je vous souhaite bonne santé et vous prie d’agréer l’expression de ma plus tendre affection. Votre fils qui pense à vous

H. Moisy ‑ Sergent au 131ème ‑ 5ème Compagnie

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Une réponse à 21 avril 1915 : depuis huit jours, nous avons des cuisines roulantes

  1. P.PONSARD dit :

    que d’éloges pour les chefs, les cantonnements, la nourriture…Il est vrai qu’ « Anastasie » n’aurait pas laissé la moindre critique, ( encore que H.Moisy cite souvent et librement des noms de lieux, de localités, des noms et des numéros de régiments, etc., sans qu’ « Anastasie » ait semblé s’en émouvoir… ) alors devons-nous lire ces lettres sous la forme d’antiphrases ?
    Sans doute est-ce aussi la réalité, comment savoir ?
    Uniquement par les récits a posteriori qu’Henri Moisy aurait pu faire après la guerre, s’il a consenti à parler, car de nombreux poilus rescapés ne voulaient, à juste titre, plus parler de l’enfer vécu…

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