14 mars 1915. Mesnil les Hurlus
Je monte, avec mon bras en écharpe, jusqu’à la tranchée d’attaque de cette nuit relever avec Cobigo les blessés restés là. Déjà on marche sur eux, on les achève d’un coup de pied involontaire. Des troupiers silencieux, efflanqués, vidés, sont là dans ce coin d’enfer au milieu des cadavres de leurs camarades. Que de cadavres ! Ils forment des tas bleus : les bras raides levés vers le ciel ont l’air d’implorer la fin de ces horreurs.
Boulanger reçoit une balle qui après avoir déchiqueté, dans la poche gauche de sa vareuse un carnet de notes, ricoche sur son portefeuille et va lui labourer la main gauche. Je le panse. Je regagne Mesnil avec lui.
Je ne veux pas me faire évacuer au moment où tous mes amis sont en danger. Mais je vais me reposer un peu au poste de secours de Wargemoulin que je gagne en compagnie de Boulanger à travers des bois de pins pleins de canons de tous calibres qui préparent l’attaque du 2ème bataillon par un ouragan formidable.
A Wargemoulin, marmites. Le sergent du poste de secours voisin du nôtre a une cuisse sectionnée et meurt dans une mare de sang. Mon ancien cheval de selle devenu cheval de trait est tué.
Nous allons jusqu’à Laval aux nouvelles. Nous y restons « dormir » dans un coin d’écurie où l’adjudant Bose, blessé, vient nous apprendre que Cordonnier a reçu une balle dans l’épaule… Quel soulagement à cette nouvelle ! Notre cher Cordonnier ! nous étions si persuadés qu’il se ferait tuer à la tête de sa section ! Le cycliste Bouquet vient s’informer de ma blessure : le pauvre garçon a un doigt emporté.
Toute la nuit, marmites sur Laval. Sixième nuit blanche en six jours.
l’horreur totale, que peut-on ajouter à cela ? Et la mort du fier » Altkirch », cheval de » grosse légume » transformé en cheval de trait… Il ne savait pas le malheureux animal que l’un de ses futurs congénères allait devenir le héros d’un film à succès du nom de » Cheval de guerre », et subir les mêmes avanies mais s’en sortir vivant lui…