19 janvier 1916. Ma nouvelle popote est logée dans un endroit bien pittoresque



19 janvier 1916. Dans la forêt

Ma nouvelle popote est logée dans un endroit bien pittoresque : c’est dans la cave de la villa Hartmann, au col de la Schlucht, que notre appétit tient ses assisses. Membres de la popote :

-Le commandant d’infanterie Florence, commandant d’armes de la Schlucht. Homme grave, posé, lent en ses discours, imperturbable quant au visage et que l’on appelle ici « le Père la Frontière ».

-le commandant d’artillerie Delamare, commandant l’artillerie des groupes vosgiens 4 et 5.

-le gros Bréhier.

-le lieutenant d’infanterie Rigault, qui, à force de se manger les ongles, a pour mains des moignons hideux. Dommage, car il est intelligent, fin et provençal.

-un lieutenant d’infanterie Rault qui porte des croix et des médailles de la clavicule à la racine de la cuisse. Vieux sergent colonial.

-le médecin Coüasnon, médecin de la Schlucht ; breton, chasseur, marcheur, cavalier, fumeur, photographe. Camarade excellent. Il habite une cave minuscule, la cave des vins fins, de l’ex-hôtel Français qui n’est plus qu’une sinistre ruine.

La Schlucht, marmitée, détruite, avec ses hôtels effondrés, ses bazars brûlés, sa gare déchiquetée, la Schlucht, endroit aimé des touristes et où maintenant on meurt les quatre membres éparpillés aux quatre points cardinaux, la Schlucht devient le centre de mes joies gastronomiques. J’ai un kilomètre à faire dans la neige, de ma baraque à la cave Hartmann : excellent apéritif. On déjeune à la lampe dans une cave qui est à la fois cuisine, salle à manger et chambre à coucher du commandant Florence. Les obus arrivent de l’est, la cave est à l’ouest. Le plafond a été étayé par de solides madriers et le parquet du salon de l’étage supérieur porte une double épaisseur d’énormes rondins. On peut manger en paix. Le calfeutrage du soupirail au moyen de madriers et de sacs de terre étouffe le vacarme inconfortable des marmites. En somme, l’endroit est propice aux repas fins et nous ne nous y privons ni de truffes, ni d’huîtres, ni d’entremets assortis.

J’ai à assurer le service des batteries dispersées entre la Schlucht et le Taneck et des troupes d’infanterie éparpillées dans les cantonnements de la forêt. J’ai environ quatre kilomètres de front à parcourir chaque matin par une route généralement skiable. Au Taneck, j’ai à soigner les valets de chiens du chenil du capitaine Moufflet1. Il y a là deux cents chiens de l’Alaska et du Labrador et que nous utilisons pour notre ravitaillement, pour le transport de mes blessés et… aussi pour le sport pur. Rien n’est agréable comme le traînage par chiens. C’est un art que de conduire un de ces teams rapides de huit à douze chiens, tirant au galop de course un long et souple traîneau canadien, c’est un art dans lequel dès aujourd’hui j’ai fait mes premiers pas.

1

En août 1915, Moufflet et Haas partent pour l’Amérique, en mission secrète, afin de ramener en France 400 chiens de traîneaux. Avec l’aide de Scotty Allan, dont s’inspira Jack London pour L’Appel de la forêt, Haas part en Alaska acheter 1OO chiens de tête, tandis que Moufflet s’en va au nord canadien en rassembler 300 autres.

Arte a proposé un excellent documentaire sur ces « poilus d’Alaska », le 18/02/12, qui retrace ce périple extraordinaire de 10OOO kilomètres en 120 jours. Bedel photographiera à plusieurs reprises ces chiens.

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