12 décembre 1914. Dès notre entrée dans le village nous recevons des obus.



12 décembre 1914. Berry (Aisne) près de Vic-sur-Aisne, qui est à 5km au S-O.

Dès notre entrée dans le village nous recevons des obus. Un shrapnell éclate à quelques mètres de moi, je reçois son culot sur le pied. Les murs des maisons sont criblés de balles et d’éclats… Un petit bruit, qui n’a l’air de rien et qui nous fige soudain, siffle à nos oreilles : une balle passe et va s’écraser sur le mur de la maison près de laquelle nous nous concertons.

Chacun de nous va à ses affaires : les miennes m’appellent à une petite masure au mur largement éventré qui sera mon poste de secours. Trois pièces : une s’ouvre largement sur la rue par son éventration, les deux autres sont sans carreaux, quasi sans volets, les balles et les éclats ayant tout brisé. Comme lit j’aurai un vieux sommier maculé d’une belle flaque de sang qui s’écaille…

Mon prédécesseur, du 44ème d’infanterie, me reçoit comme un libérateur. Dame !…

A mesure que la nuit tombe les obus ralentissent leur sinistre zèle… L’un d’eux tombe dans le potager de la maison et ses éclats se précipitent en pluie de fer dans la courette.

C’est l’heure des balles qui va sonner…

Ce sont d’abord des sifflements menus, rapides, isolés ; puis ils se font plus fréquents. La fusillade crépite, triplée par l’écho des vallées, tout autour du village, en sorte que les balles arrivent de tous côtés.

A la nuit tombée, quel joli concert ! Quel adorable concert de mort ! Toutes les petites balles qui vont et viennent affairées, rapides, vers le mur ou le talus le plus proche font dans la rue comme le sifflement d’un vol de martinets aux beaux soirs de l’été… En touchant le but elle[s] éclatent avec le bruit d’une petite bombe.

Des fusées éclairantes sillonnent le ciel au-dessus des tranchées. Un projecteur balaie le terrain au ras du sol… Et les occupants des tranchées tirent, tirent, comme des insensés, en l’air, en face, à droite, à gauche, pour faire du bruit et ne pas s’endormir… De temps à autre un fracas épouvantable : c’est une petite marmite qui éclate…

A minuit, dans la nuit compacte et sous la pluie battante, notre bataillon arrive à Berry et la relève des tranchées commence ; elle va durer jusqu’à 4h du matin… Elle s’effectue dans un silence impressionnant. Les hommes ont amarré leur baïonnette, rentré leur toux et éteint leur cigarette… A peine les entend-on marcher dans la boue épaisse.

Les gorges sont serrées…*

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