25 octobre 1914. Vraiment, la guerre, cela bouleverse moins l’ordre du monde que je ne le croyais.



25 octobre 1914. Dimanche – Ménil-aux-Bois

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Vraiment, la guerre, cela bouleverse moins l’ordre du monde que je ne le croyais. C’est dimanche. Un dimanche de guerre : là-dessus il n’y a aucun doute : le canon fait assez de « pétard » comme dit mon ordonnance ! C’est dimanche. Il fait beau. Le temps est doux l’air est rose, les feuilles jettent sur les routes un tapis d’or. A 11h les cloches de la petite église sonnent à toute volée. Nous allons à la messe dite par l’aumônier en bottes et en calot. (« A bas la calotte !» criait naguère Monsieur Homais sur le pas de sa porte.  «  Vive le calot » ! crie ce même Homais, pantalonné de rouge, sur le seuil de l’église où il n’a pu pénétrer faute de place…) Et l’aumônier nous dit des mots simples qui sont des mots sublimes. On chante le Credo. Il n’y a point d’orgues pour l’accompagner, mais il y a mieux : il y a la basse formidable des gros canons… C’est dimanche. Dans notre toute petite salle à manger, qui est la chambre à coucher de cinq émigrées pendant la nuit, nous sommes seize à table. Comme il y a des invités, la cuisinière a mis son grand cordon bleu et nous a fait une poule à la sauce brune et un rôti de bœuf aux champignons. Nous arrosons cela de bière éventée et de vin piqué. Nous nous régalons. C’est dimanche. A 4h il y a concert : le phonographe en fait les frais. Pour la centième fois nous subissons Sambre et Meuse, le Trouvère, la Juive, Rigoletto… Ca grinchouille, ça nasille, ça accroche. Nous nous régalons. Pendant le concert il y a du thé : l’eau dans laquelle il a infusé est en somme une eau trouble ; le sucre dont nous l’édulcorons est mélangé de mouches, de grains d’avoine, de poussières douteuses ; le couteau avec lequel nous l’agitons vient de couper des oignons. Nous nous régalons… Nous nous régalons… Et je nous applique ces vers de Voltaire, datés du camp devant Philipsbourg, 3 juillet 1734 :

C’est ici que l’on dort sans lit

Et qu’on prend ses repas par terre.

Je vois et j’entends l’atmosphère

Qui s’embrase et qui retentit

De cent décharges de tonnerre.

Et dans ces horreurs de la guerre

Le Français chante, boit et rit. /…/

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Une réponse à 25 octobre 1914. Vraiment, la guerre, cela bouleverse moins l’ordre du monde que je ne le croyais.

  1. Patrice PONSARD dit :

    A la guerre comme à la guerre disait-on, et l’on finissait par s’habituer à tout… néanmoins l’attrait pour la bonne chère persiste chez Maurice… » La cuisinière a mis son grand cordon bleu…Poule à la sauce brune…rôti de boeuf aux champignons… »
    Hélas au niveau des breuvages, ce n’est pas vraiment l’enchantement…thé en eaux troubles et sucre mélangé de mouches , de grains d’avoine, de poussières, vin piqué, etc…!

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