3 octobre 1914. Je suis allé aujourd’hui en patrouilleur isolé à Raon-l’Etape



3 octobre 1914. Neufmaisons-

Déjà le sens du fameux télégramme s’atténue… Bientôt il n’en restera plus rien, que le souvenir d’un « canard » de plus… Et c’est comme ça depuis le début de la guerre.

Je suis allé aujourd’hui en patrouilleur isolé à Raon-l’Etape par des chemins de forêt. Dieu que le pas de l’homme est bruyant ! Comme les feuilles mortes, les brindilles sèches, les graviers sont bavards ! Je veux passer silencieusement certains carrefours dangereux, et tandis que, naïvement, je retiens ma respiration, mon pied brise en deux une branche sèche de sapin : pignnne ! Et l’écho des ravins murmure : Piiiiiignnnnn… Et comme on se sent « petit Poucet » dans ces grandes forêts sans fin ! Pour un gland qui tombe, pour un oiseau qui prend son vol que de battements de cœur ! Voici des sentiers où l’ennemi a passé et repassé : les côtés sont semés de bouteilles vides.

A Raon-l’Etape je ne trouve ni un crayon, ni une tablette de chocolat, ni une feuille de papier à lettres : l’ennemi a emporté jusqu’au dé à coudre de la couturière, jusqu’à la poupée de la petite fille, jusqu’à la canne du paralytique. L’épicier qui n’a pas eu son fonds brûlé ne possède même plus pour un liard de cassonade. Le Bavarois lui aurait-il mangé son savon noir et bu son eau de Javel ? Dame ! le garde-chasse de Thiaville me contait qu’il avait surpris un sergent allemand ouvrant avec recueillement une boîte de Ripolin et plongeant son doigt dans cette crème bleu Nattier : je vous laisse à penser combien le bonhomme s’amusait de la méprise. Ma propriétaire, à Badonviller, a vu un médecin allemand se jeter littéralement sur un concombre que venait de cueillir la cuisinière et se mettre à le dévorer sans même l’éplucher.

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Une réponse à 3 octobre 1914. Je suis allé aujourd’hui en patrouilleur isolé à Raon-l’Etape

  1. Patrice PONSARD dit :

    La soldatesque tudesque serait-elle vraiment sous-alimentée et un médecin allemand assez stupide ou affamé au point de dévorer un concombre terreux , ou notre ami commence-t-il à subir les effets d’une certaine intox, savamment distillée par le commandement, le gouvernement et les journaux ?
    Les débuts du fameux  » bourrage de crânes » pour soutenir le moral, élaboré par  » l’arrière » dont les futurs  » poilus » se gausseront dans les mois et les années à venir…

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