Le vendredi 2 octobre 1914
Un renfort de 700 hommes est demandé pour ce soir pour le 131ème au front. Je suis du nombre et nous faisons nos préparatifs de départ. Revue à 16 h par le capitaine de Broissia. Nous quittons Orléans à 18 h en tenue de campagne complète.
Le samedi 3 octobre 1914.
Nous passons à Montargis, Sens, Troyes, Bar-sur-Aube, Chaumont, Bricon, Sainte-Ménehould. Nous débarquons à 19 h à Clermont-en-Argonne. Nous traversons le village qui est à moitié détruit et nous revenons à pied aux Islettes, village situé à 6 km de Clermont-en-Argonne. Nous nous couchons à 23 heures dans une grange, sur le foin. Nous entendons le canon qui tonne au nord dans la Forêt d’Argonne. Je reviens au front non loin d’où je l’avais quitté.
Le dimanche 4 octobre 1914
Nous quittons le cantonnement à 5 h et nous allons former les faisceaux sur une place du village. Je visite les maisons pillées par les Allemands. Une partie de la population est restée dans le village. Toutes les maisons désertes ont été saccagées, les meubles sont fracturés ; dans les magasins, les marchandises sont éparpillées par terre. Les Allemands ont traversé le village en reculant il y a quinze jours et se sont arrêtés dans la forêt d’Argonne. Nous entendons le canon. L’après-midi nous allons creuser des tranchées au nord des Islettes. La nuit nous allons prendre la garde dans ces tranchées et nous couchons dans une grange à claire-voie. J’ai vu André Duveau qui arrivait en renfort au 113ème. Beau temps froid.
X…. dimanche 4 octobre 1914 – 13 heures.
Mon cher père,
Après 24 heures de chemin de fer je suis arrivé ici hier soir à 11 heures du soir. J’entends le canon. Ma santé est bonne et le temps est beau. Pour la première nuit, j’ai couché dans un grenier, sur le foin.
J’ai dans mon escouade un réserviste qui connaît la langue anglaise et un autre qui connaît la langue allemande, aussi nous ne serons pas embarrassés.
Le 4 de chaque mois est un jour remarquable. J’ai quitté Bourgueil le 4 août ; après un mois de campagne j’ai quitté la ligne de feu le 4 septembre, enfin je rejoins la ligne de feu le 4 octobre ; Peut-être que je rentrerai à Bourgueil le 4 novembre.
J’ai vu ce matin André Duveau, du Canal, qui arrivait également avec un détachement du 113ème.
J’ai apporté avec moi toutes sortes de provisions, rhum, boîtes de pâté, chocolat, teintude d’iode, cache-nez, gilet de flanelle, etc…aussi j’en ai lourd à porter. Seulement la marche sera moins pénible, les chaleurs n’étant plus à craindre.
Pour vous, faites tranquillement les vendanges, ne vous inquiétez pas de moi, quoiqu’il m’arrive.
Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre fils ‑ H. Moisy
J’ai donné mon adresse à Aimée.