22 septembre 1914.
J’ai fait à bicyclette le grand tour du champ de bataille : Raon-l’Etape, le col de la Chipotte, St Benoît, Ste-Barbe, Baccarat.
Je ne veux retenir de tout ce que j’ai vu que l’horreur de la forêt puante. Et quelle belle forêt ! Des hêtres s’élevaient là en colonnades majestueuses, soutenant un dôme de verdure que perçait difficilement le soleil. La route déroulait son ruban au milieu de cette solennité de cathédrale. C’était la paix, le silence et la beauté. Que reste-t-il de tout cela ? De même que Reims vient de voir s’effondrer ses vieilles pierres sacrées, témoins séculaires des fastes de la France, de même la Forêt a vu sa voûte de verdure crevée, ses colonnes brisées, son tapis de fougères et de mousses lacéré. Et de même encore que toute maison bombardée porte parmi ses ruines les traces du pillage et du désordre, de même la Forêt subit la honte de ses sentiers souillés de bouteilles vides, de chevaux crevés, de bottes déjà moisies et de cadavres déjà verts. Que de cadavres au col de la Chipotte ! Ah ! comment donc a-t-on pu se tuer, et avec quel acharnement, dans ce décor solennel ? Ici il n’y a point de buissons, point de fourrés. Le cadavre dort sur la mousse de la futaie. Je vois à droite, à gauche des hommes gris étendus, les uns dans des poses de dormeurs, les autres comme repliés sur eux-mêmes en un geste de douleur. Ce sont des Allemands. Un peu plus loin des hommes bleus et rouges, dans des positions analogues : ce sont des Français. Et tout autour d’eux les arbres sont brisés, ébranchés. Les arbres aussi sont des blessés et des morts.
parfaitement décrites mais oh combien effrayantes et poignantes sont les observations » à chaud » de notre futur Goncourt !!